<REVISTA
TEXTO DIGITAL>
ISSN
1807-9288
-
ano 5 n.1 2008 –
http://www.textodigital.ufsc.br/
INTERVIEW DE TIBOR PAPP PAR
ALEXANDRE GHERBAN
(2008)
A. G. – Tibor papp, vous êtes l’un des rares auteurs qui ont une œuvre
littéraire où participent à titre égal l’écriture et l’informatique. Comment
êtes-vous arrivé à la création littéraire par ordinateur ?
T. P. – Au départ (au
milieu des années ’60) ce sont mes visites régulières dans une grande imprimerie
au 10e arrondissement de Paris pour superviser la fabrication de la
revue Magyar
Mûhely (Atelier Hongrois) qui m’ont conduit à réflèchir sur les composants
visuels de l’écriture. C’est à ce moment là, que dans ce domaine le rôle de la
typographie m’est devenue une évidence. Je me suis rendu compte que le visible
altère le message de l’écriture dans le bon ou dans le mauvais sens, et de
plus, cette altération maîtrisée peut devenir un atout poétique. A partir de
ces constatations j’ai fait un apprentissage et je suis devenue typographe. La
poésie visuelle (celle de Dom Sylvester Houédard, de Henri Chopin, de Pierre
Garnier, des frères de Campos, de Tim Ulrichs et celle des auteurs
d’avant-garde du début du 20e siècle, notamment le hongrois Lajos
Kassák qui est devenue plus tard un point de triangulation poétique important
pour moi et mes amis de l’Atelier Hongrois etc. etc.) me semblait être la forme
la plus adéquate a mes aspirations.
En plus un essai de 1926 d’un universitaire
hongrois, Béla Zolnai consacré à la langue visible m’a conforté dans mes approches de
ce problématique, ainsi que les recherches des trois psycholinguistes :
Jacques Mehler, Thomas G. Bever et Peter Carey m’ont éclairé, bien que
l’application de leur recherche, a ma connaissance, n’a jamais été étendue au
niveau litteraire [1]. C’est à partir de la grammaire
générative et transformationnelle, qui est la base fondamentale de l’analyse
structurale des phrases, qu’ils cherchaient une réponse a la question «quels
sont les aspects de la structure de la phrase qui dans la lecture affectent le
balayage visuel». En générale disent-ils dans une remarque, «les
fixations sur les espaces ont été plus nombreuses que l’on ne l’aurait attendu
du modèle». (fixation = un temps d’arrêt du mouvement occulaire (au
moins 0,1 sec.)), cela veut donc dire que le lecteur lit les blancs. Par
conséquent, les blancs normaux et supplémentaires (par rapport à l’image
textuelle traditionnelle) sont bien perçu par le lecteur, mais la règle
résultant de leurs experiences et qui nous intêresse au plus haut point est la
suivante: dans le cas des mots isolés, il y a autant de fixations sur la
première moitié du mot qu’il contient de structures syntamatiques de
surface ; en outre «cette règle s’applique de façon récursive a
tous les niveau de la structure syntagmatique de surface.» Par exemple, sur
le mot jalousie, isolé, l’œil
s’arrêtera deux fois plus longtemps sur les cinq premières lettres (jalousie) que sur la deuxiéme moitié du mot,
puisque le mot se décompose en deux unité constituants. Le même mécanisme va
agir concernant le mot soucieux
en situation isolé.
Le mariage entre le mouvement et le texte dans les
poèmes mobiles (sculptures mobiles) du poète anglais Kenelm Cox, ainsi que les
cadrans solaires de Ian Hamilton Finlay avec l’ombre se déplaçant de texte en texte me
semblaient être une voix à explorer . Depui le début des années ’70 j’ai
créé des diaporamas dans lesquels j’ai réussi à faire bouger mes textes de
différentes manières. La plus simple était de me mettre tout en blanc devant le
grand écran sur lequel le poème a été projeté, en me déplacant, le texte pour
le public s’est mis en mouvement comme des vagues, aussi avec l’aide d’un
carton blanc je soulevais des mots de l’écran, donnant ainsi l’impression d’un
texte en trois dimensions. De même, à l’aide du fondu enchainé je pouvais faire
bouger virtuellement les objets (y compris les textes) sur l’écran.
En 1983 ma sœur, prof de math dans une ville de province
en Hongrie m’a demandé de lui apporté de France un ordinateur Sinclair
ZX81, un appareil minuscule, pas plus grand qu’une boîte à cigar. (Pour ce genre
d’objet – pour des raison économique et aussi idéologique –
Dès mon retour à Paris j’ai acheté un Amstrad 64,
une machine plus puissant que le Sinclair ZX81, qui ne permettait d’enregistrer
le programme que sur bande magnétique, puis je suis devenue propriétaire d’un
Amstrad 128 (avec disquette). Je me suis mis au travail et j’ai présenté ma
première œuvre Les
très riches heures de l’ordinateur no 1 au Centre Georges Pompidou en juin
1985.
A. G. – Vous dites, lorsque vous parlez
de la découverte des nouvelles possibilités offertes par l’ordinateur :
« donner un plus à l’expression poétique ». Quel est ce
« plus » que l’ordinateur apporte à l’expression poétique ?
T. P. – On peut parler
de ce quelque chose de plus à partir de la fin des années 50s, très précisément
à partir de l’expérience poétique en 1959 de Théo Lutz, étudiant à
Je me suis rendu compte que c’est par le support
que les nouvelles créations tendent à déborder les traditions. Ces œuvres
nouvelles ont leurs origines dans la littérature visuelle en général. Elles ne
s’inscrivent plus sur une feuille de papier, mais sur un écran. N’empêche, que
pour agir d’une manière conscient le poète créant des œuvres dynamiques sur
ordinateur, doit connaître les formes de la poésie visuelle et de la poésie
sonore. Car, en poésie la pleine jouissance d’un morceau est lié – comme il se
doit – à la forme poétique aussi. Il doit pouvoir discerner sur l’écran la
différence entre une disposition topo-logique et topo-syntaxique (par exemple,
reconnaître un logo-mandala). Il doit savoir ce qu’est une formation
icono-logique. Savoir que les calligrammes (icono-logique par excellence)
peuvent être rangés dans quatre groupes : Calligramme 1 : dans lequel le texte du
poème est linéaire, répond aux normes syntaxiques, tandis que la partie
graphique n’est qu’une illustration du texte. Dans les calligrammes de type
2, le texte du poème répond aux normes syntaxiques, mais dans sa totalité
n’est pas linéaire (d’où l’incertitude du début et de la fin). Dans les calligrammes
de type 3, le texte ne répond pas dans sa totalité aux normes syntaxiques.
Les unités textuelles ne sont pas obligatoirement liées entre eux. Dans les calligrammes
de type 4, le texte ne répond pas aux normes syntaxiques et il n’est jamais
linéaire, en plus, les bribes de textes ne sont pas obligatoirement en rapport
direct avec le graphisme du poème. Dans les œuvres visuels icono-syntaxique,
les signes (les lettres) formant le poème sans ajout graphique constituent une
icône. Les poèmes visuels basés sur un schéma graphique ou typographique
est un sous-groupe de l’ensemble topo-logique. Ici la structure de l’œuvre est
basé sur un schéma figé (comme les cartes routières, ou les mots croisés etc.).
Les poèmes tychosyntaxiques ont comme structure directrice : la
permutation. Les poèmes visuels anti-syntaxique ne rapellent la langue que par
allusion. Ils sont à la limite de la poésie visuelle, mais ils penchent
toujours du côté de la langue. Les œuvres poètiques conceptuelles sont
les fruit d’une idée arrivé comme un éclaire, retenue par le poète, leurs
dénominateur commun est l’isolation (qui oblige le lecteur de chercher une
structure pour assimiler l’œuvre). Cette structure sera parfaitement unique,
car elle n’existe que dans la tête du lecteur.
Sans aller trop loin, il est souhaitable que le
poète programmant sur ordinateur ses œuvres se familiarise aussi avec des
éléments des formes poétiques des siècles passés – qu’il sache qu’est-ce
l’acrostichon, le mesostichon, le telestichon, l’isogrammatistichon (certaine
lettre de différent vers correpondent là ou les vers se croisent) etc. etc.
Avec l’arrivé des ordinateurs un des changements
profonds par rapport au papier réside dans le cinétisme de l’inscription. Le
déjà-et-toujours-là de l’œuvre sur le support donne sa place à une surface en
gestation. Au lieu d’être présent, le texte arrive, apparaît. Son apparition
peut être globale et instantanée, ou bien peut être un enchaînement
d’« arrivé » contrôlées de ses éléments (juxtaposés ou non). Le contrôle
s’exerce aussi bien sur les intervalles de temps entre l’arrivée des éléments,
que sur l’emplacement de l’inscription (ainsi que sur le ou les directions de
son déplacement).
Dans un premier temps on peut considérer que les
phénomènes en jeu (le cinétisme en particulier) viennent de l’art
cinématographique. La différence primaire réside dans le fait que l’ordinateur
est praticable individuellement tandis que l’art cinématographique est
collectif par essence. Mais comme le mouvement du texte dans l’espace et dans
le temps est lié au mécanisme de l’inscription, et comme l’ordinateur abrite
des possibilités inconnues du cinéma ; en explicitant ces dernières, la différence s’approfondit.
La virtualité, et les phénomènes aléatoires (indispensables pour les œuvres
basées sur la combinatoire) qui en découlent en sont l’exemple type.
Parmi les parties aléatoires dans le programme
qui ne concerne pas l’œuvre dans sa totalité et qui peut être circonscrite à
une ou plusieurs séquences relativement courtes, tout en étant limité dans ses
variantes, confère à l’œuvre la possibilité d’apparaître d’une manière
différente à chacune de ses représentations, tout en gardant son identité
globale.
Le texte d’une œuvre visuelle sur ordinateur doit
se confronter tout au long de «sa réalisation» (en dehors de sa compétence
poétique dans le sens classique de ce terme)
à trois constituants hors-langue : le temps, la topographie et le
mouvement.
Sur le papier le texte est immuable, intemporel,
par contre, sur l’écran il a une durée, il a des temps forts et des temps
faibles. Il y a d’abord le temps de l’attente, puis le temps d’apparition,
ensuite le temps de présence, qui est la somme des temps d’état statique,
cinétiques, scintillants ou non scintillants, latents ou réel du texte –
ensuite vient le temps (l’instant) de la disparition qui est généralement suivi
par un temps d’écho. Du point de vue topologique, un texte doit se conformer au
sens de l’écriture (de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas) et
au système des coordonnées de la surface (perpendiculaire ou non, en deux
dimensions réelles, en trois dimensions suggérées etc.)
Le mouvement du texte sur ordinateur est fonction
du temps et du déplacement de ses éléments graphiques dans l’espace. La présence
des deux facteur donne un mouvement réel, tandis que sans déplacement on peut
avoir un mouvement virtuel (par exemple scintillement, apparition-disparition
répétées etc.) L’effet sur le texte de ces constituants hors-langue peut être
très bénéfiques, mais aussi pervers et/ou contradictoire. Un écart du sens
résultant de deux lectures d’un même et unique texte peut être obtenu par un
simple déplacement temporaire des éléments – et ainsi contredire la lecture
effectuée avant le déplacement topographique de ces mêmes éléments.
A. G. – Vous définissez donc ici la
«poésie dynamique», séparée de la poésie combinatoire, en détaillant ses
effets, ses moyens de création et ses manières de se proposer à la lecture sur
écran . Pionnier de cette nouvelle poésie, vous avez créé , en 1985 , le premier
poème dynamique par l’ordinateur «Les très
riches heures de l’ordinateur no 1»;
ce fait est reconnu par toutes les histoires de la poésie et de la littérature numérique
. Pouvez-vous nous dire quelque mots de cette œuvre, des conditions de sa
création, de vos visées artistiques la concernant, de vos difficultés
techniques auxquelles vous avez du faire face à l’époque de sa création?
T. P. – Pour la fin
des années 80s j’ai accumulé un certain nombre d’expériences dans la poésie.
Pour commencer, en 1964 j’ai publié un recueil d’aspect classique, mais aussi
un poème sonore « Rythmes païens » (qui est devenue une
pièce d’anthologie). Mes recueils suivants s’ouvraient de plus en plus à la
visualité jusqu’à ce qu’elle est devenue l’identifiant de toutes mes créations
poétiques. Mon livre Vendégszövegek
2,3 (Textes invités, 2,3 – 320 pages) publié en 1984 est un premier
aboutissement de mes visés poétiques sur support statique.
Dès que j’ai possédé un ordinateur Amstrad 64
pourvu d’un logiciel de programation en basic, je me suis mis à créer des
petits programmes mettant en jeux des mots qui se déplacaient dans tous les
sens sur l’écran, puis j’y ajoutais des éléments graphiques, tel que lignes,
carrés, cercles etc. L’apparition du même mot avec le même cercle créait un
lien de parenté entre l’écrit et la forme graphique. J’ai agit de tel sorte que
la non apparition de l’un souligne sa manque et ainsi son existence bien que
non visible. Comme les vers dans un poème classique, les petits ensembles texte
et forme graphique représentaient des unités à assembler de manière à donner un
sens à leur proximité. Morceau par morceau, brique par brique j’ai essayé de
bâtir un ensemble pertinant (poétiquement parlant).
En même temps, poussé par ma curiosité de voir
une autre langue dans l’arène, j’ai mis à l’œuvre ma langue maternelle, le
hongrois dans un travail similaire que j’ai créé parallèlement avec le français dont le
titre est : Vendégszövegek
számítógépen no 1 (Textes invités sur ordinateur no 1).
Dès le départ je me posais la question :
quelles sont les composants de l’œuvre programmée qui sont lié uniquement à
l’ordinateur. Pour commencer : le combinatoire en était un. Je trouvais
extrêmement enrichissant le fait de changer le mot qui se trouve à un
emplacement donné par un autre, puis encore un autre, et encore... et encore.
Dans ce cas là le déroulement de l’œuvre est autant de fois différent qu’on a
des éléments combinés.
En deuxième lieu le hasard m’est apparu comme une
possibilité très bénéfique à la poésie. La présence virtuelle de l’inconnu, de
l’inattendu, de l’incontrôlable agit comme si on soufflait la vraie vie dans
l’œuvre. Cela ressemble étrangement à notre vie avec toutes les imprévues subis
de l’enfance jusqu’à un âge avancée. Il est imprévisible, même les Moiras ne
peuvent filer un fil pour nous sans nœuds imprévisibles.
Le troisième spécificité d’une œuvre programmée
sur ordinateur est la possibilité offert au lecteur/spectateur d’intervenir
directement dans le déroulement du poème dynamique.
La durée de ma première création variait entre 6
minutes et demi et sept minutes. Malheureusement la mémoire vivante de
l’Amstrad 64 n’était pas capable d’emmagasiner le programme en entier. J’ai
donc coupé l’œuvre en deux. (et peu de temps après je me suis mis à programmer
en langage machine pour gagner de la place dans la mémoire et aussi pour la
vitesse – 100 fois supérieur au langage basic). Chaque moitié étant enregistrer
sur bande magnétique, à la fin de la première moitié le poème s’arrêtait avec
une image statique sur écran en attendant que la deuxième moitié soit chargée.
Le chargement représentait 1 minute et 20 seconds – puis le déroulement de
l’œuvre continuait jusqu’à la fin. Pour palier ce problème, j’ai demandé à un
pianiste de jazz bien connu, Faton Cahen, d’accompagner ce poème dynamique
comme on faisait avec les films muets. Pour meubler le temps de chargement j’ai
lu un texte sur fond musical. Le tour était joué. Évidemment, le publique ne se
rendait compte de rien.
Je dois dire que les techniciens du Centre
Georges Pompidou étant très exités par le problème ont travaillé pendant deux
jours pour réaliser le lien direct entre mon Amstrad 64 et le grand projecteur
Barco de
L’œuvre en langue hongroise (citée plus haut) que
j’ai créée parallèlement avec le français a été présentée au publique hongrois
au début d’août 1985 à Kalocsa, petite ville au centre de
Au milieu des années 80s à l’aide d’un
sythétiseur vocal la plupart des ordinateurs étaient capable de
« parler ». Cette spécificité à ma connaissance n’a suscité qu’une
seule réalisation littéraire achevée, l’ouvrage intitulé : « Mnésis » de Claude
Maillard.
A cette même époque la volonté des artistes de
conquérir les nouveau horizons offert par l’électronique était de plus en plus
visible. Orlan, artiste confimée et le jeune Frédéric Develay ont fondé la
revue Art
Accès, revue télématique d’art contemporaine, sur Minitel. La pauvreté
graphique et cinétique du Minitel n’a pas empêché les créateurs de donner le
mesure de leur talent. En contemplant les œuvres on peut vite se rendre compte
de l’importance des constituant « hors langue » dans une structure
textuelle. Certains artistes ont exploité le temps de l’attente, le temps de la
présence et le temps de l’écho du texte, d’autres penchait plutôt vers le
mouvement réel, John Cage par exemple insistait sur la topographie. Dans mon
ouvre (préfacée par Jean-Jacques Lebel) « Comme la vanille en poudre »
programmée directement sur le Minitel avec l’aide d’un logiciel spécifique,
j’ai combiné les trois constituants hors-langue pour meubler la surface, et le
temps.
A. G. – A la même époque, vous avez co-fondé
avec Philippe Bootz l’Association L.A.I.R.E. (Littérature, Art, Innovaion, Recherche, Écriture)
qui donnait naissance peu après à «alire», première revue de littérature
informatique sur support numérique ? Quels étaient les buts de cette revue,
en quoi se séparait-elle des autres revue existantes?
T. P. – Vers 1986-87
un jour Philippe Bootz est venu chez moi avec son Atari pour me montrer ses
réalisations de poésies dynamiques sur son ordinateur. Ayant pris dans la
matière la même direction, c’est-à-dire la création poétique par programmation,
nous nous sommes vite sympathisés et sommes devenus amis. C’était très
important à l’époque de trouver une âme-sœur dans un monde où l’ordinateur ne
servait même pas de machine à écrire pour les poètes ou pour les écrivains. On
peut dire qu’il y avait une hostilité générale surtout dans les milieux
littéraire envers l’ordinateur. En Hongrie, où après la parution d’un de mes
générateur de poésie (des distiques), j’ai eu droit à une émission d’un quart
d’heure à la télévision nationale, la réception du publique (les littérateurs
en particulier) était très négative. Comme le diable des siècles passés,
l’ordinateur – bien que sans queue ni corn – suscitait peur et dégoût,
devenait le symbole de l’inhumain surtout dans la création poétique. Les
critiques de l’époque ne s’intéresaient qu’aux données chiffrés, qu’aux nombres
de combinaisons possibles et les ratés futures du programme. Ce n’est que
depuis deux-trois ans que les vents commencent à tourner, que les jeunes
critiques littéraires s’ouvrent vers ces cieux inconnus, bien que jusqu’à nos
jours, en dehors de ma production il n’y a pas d’autre œuvre dynamique sur le
horizon hongrois. C’est entre autre par rapport à cela que je peux mesurer la
richesse dans ce domaine en France.
Ayant à l’époque une bonne vingtaine d’années
d’expérience comme dirigeant de revues littéraires francaises (Dialogue à Liège
en 1960, d’atelier à Paris à
partir de 1972) et hongroise (Magyar Mûhely à partir de 1962 – une revue qui existe toujours), j’étais conscient de
tout les biens que l’effervescence (les soirées poétiques, les présentation des
numéros, les voyages, les sorties, les amitiés)
autour d’une revue apporte à ceux qui s’y adhèrent.
Nous nous sommes tombés d’accord avec Philippe de
fonder une revue littéraire pour donner une espace dynamique, pour ouvrir une
fenêtre vers le monde pour nos œuvres. Nous avons contacté Claude Maillard,
auteur d’une œuvre sonore de synthèse vocale sur ordinateur intitulée Mnézis (1983) que je
connaissais grâce au Festival Polyphonix (dont je faisait partie de la
direction à l’époque), ainsi que Jean-Marie Dutay, ami et co-auteur avec
Philippe Bootz de quelques expositions poétiques, ainsi que Frédéric de Velay,
poète, plasticien et animateur d’Art-Accès sur Minitel. A partir de 1987
l’équipe de Laire s’est constituée et s’est mis au travail
pour matérialiser les idées émanant des réunions du groupe. La nouvelle revue
éditée par le groupe Laire avait
été baptisé alire (anagramme de
laire) et soustitrée Revue animée d’écrits de sources électroniques.
L’animation poétique programmée était une de nos
préoccupations pricipales. Comme disait Philippe Botts dans ses notes du
deuxième numéro d’alire «J’usqu’à présent, l’orale et l’écrit se trouvaient
très nettement séparés et l’abord de l’un ou de l’autre faisaient intervenir
chez le lecteur ou l’auditeur des mécanismes différents. L’animation bouleverse
cette donnée...».
Après une année de préparation le premier numéro
d’alire a été présenté,
grâce à l’ouverture bienvaillant de Blaise Gauthier, au Centre Georges Pompidou
en janvier
La présence dans le paysage francais de la revue DOC(K)S, bien que sur
papier, jouait aussi un rôle important dans la hardiesse des créateurs. On y
trouvait des créations poétiques résolument contemporaines. Les auteurs, nos
ainés, les plus modernes comme Pierre Garnier, Ernst Jandl, Eugène Gomringer,
les frères de Campos etc etc étaient régulièrement présent dans ses pages.
J’était persuadé (je le suis toujours) que la poésie programmée sur ordinateur
trouvera la légitimation de son appartenance à la littérature par les liens
avec ces poètes.
Pendant la préparation du premier numéro d’alire nous nous sommes mis
de travailler en tendème avec Claude Maillard poète, écrivain, psychanalyste,
auteur d’une trentaine de livre, pour créer des poèmes dynamiques, des poèmes
sonores etc. Nos séances hebdomadaires (qui n’ont pas cessés depuis) ont porté
leurs fruits. : 8 poèmes dynamiques programmés en Quick basic, sous le
titre de Dressages, puis des poèmes programmés en Director, comme Argentina,
Rupture, Cette phrase, En hâte, des poèmes sonores comme Ourlure, Le 21
h 20 etc. et même un livre : Icônes en 1991 (édité par Magyar
Mûhely/d’atelier Pairs, Wien, Budapœst). Dans le travail poétique nous
sommes devenues inséparable, mais chaqu’uns de nous poursuit sa carrière
individuelle : qui donne de côté de Claude Maillard une dizaine de livres
et une quinzaine de mon côté dont Vendégszövegek (n) – Textes invités (n) –
(800 pages, mes œuvres poétiques complètes du début, jusqu’à 2003) et le tout
dernier Bûvös négyzetek – Carrés magiques – (64 pages, Budapest
2007). J’ai présenté mes œuvres dynamique programmées sur ordinateur en France
(à Paris, à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Caen, à Arras etc.) en Allemagne,
en Belgique, en Autriche, en Hongrie, en Holland, en Angleterre, aux États Unis
(à New York, à San Francisco) au Québec, en Italie etc.
A. G. – Vous avez accordé une place importante dans
votre création à la poésie sonore. A sa pratique et à la réflexion sur ses
caractéristiques . Comment l’ordinateur intervient dans cette pratique?
T. P. – A la fin des années 60s, au moment où
j’étais en train de créé le Rythme
païen Francis Edeline, qui avait (et a toujours) une vue très étendue et
structurée sur la création poétique contemporaine, m’a mis la puce à
l’oreille. L’idée de réaliser avec les mots des ensembles sonores
artistiquement pertinants ne m’étais pas étrangère : au Lycée à Debrecen
(Hongrie) j’étais soliste dans un cœur mixte (garçons et filles) récitant de la
poésie et présentant certains textes d’une manière non linéaires, c’est-à-dire
les vers se chevauchaient, s’entremélaient, créant ainsi des effets purement
sonore tout en donnant vie à un message poétique différant d’une simple
lecture.
Un peu
plus tard, je me suis rendu compte que la poésie sonore a ses règles, ses formes,
ses contraintes – même si elles ne sont pas explicitées. Il m’a vite paru
évident que la poésie sonore est une émanation de la langue orale, celle que
défendait Claire Benveniste contre la langue mixte (écrite et parlée) et elle
est à l’opposée de la poésie visuelle. Un poème sonore n’a d’équivalant écrit,
elle est à la rigueur fixèe sur papier par une partition approximative. Ce
n’est qu’après la deuxième guerre mondiale – avec l’apparition des magnétophones
vendus à un prix abordable pour les poètes – que la fixation électronique
(l’enregistrement) et la transmission électro-acoustique des poème est devenue
une réalitée quotidienne.
Oú se
situe la poésie sonore, par rapport à la poésie dans son ensemble ? Je me
tourne vers le regretté Paul Zumthor, pour qui c’est « au milieu des autres poésies – orales ou non
– avec lesquelless, elle coexiste, c’est par opposition à elles que la poésie
sonore trouve sa légitimité manifeste et sa fonction historique. » [4]
Sous un
angle purement technique, les œuvres de poésie sonore de nos jour se divisent
en trois familles distinctes : dans la première, nous trouvons les poèmes
sonores linéaires, inscrits sur un support unidirectionnel, tels la bande
magnétique, le disque vinyle ou le CD audio ; dans la deuxième se trouvent
les poèmes sonores dynamiques, mus par un programme, enregistré sur disque ou
CD-ROM, dont la variabilité fait partie intégrante de l’œuvre, tandis que dans
la troisième famille nous avons les performances de poésie sonore, dont la
réalisation ne se confond jamais avec la simple restitution sonore d’un
enregistrement quelconque mais qui peuvent être accompagnées par des événements
sonores créés sur le champ et dirigés par un programme d’ordinateur.
Les magnétophones
et plus tard les ordinateurs (avec des logiciels spécifiques) offrent non
seulement la possibilité d’enregistrement, mais aussi la manipulation
(dédoublement, déformation stc.) du son. Les procédés techniques les plus
courants sont 1) les montages en couches multiples, 2) coupures et collages (en
gros deux types : les coupures simple qui servent à éliminer des
événements sonores inutiles, par contre les coupures complexes servent à
modifier la chaîne sonore en générale et la chaîne parlée en particulier, comme
la déformation des mots par raccourcissement, par addition, par coupure et
collage inattendus (cut up), par boulversement de la succession des événements
sonores etc.), 3) utilisation des effets électroniques par lesquels on peut
obtenir des sons totalement différents de l’original, ou créer des sons qui
n’existaient pas auparavant. On peut ainsi, tirer d’une source simple des
sonorités complexes imitant la nature, ou à différentes vitesses obtenir des
bruits non articulés et même des sonorités quasi-musicales.
Ayant
approfondi ces données j’ai constitué une typologie des poèmes sonores, qui
tient compre des sons de toutes origines (humaine ou autre). L’idée directrice
de départ y était d’établire une sorte d’échelle d’éloignement des œuvres par
rapport à la langue « écrite-et-parlée ». Ainsi le groupe 1 poèmes enrichis en sonorités est
proche de la langue écrite-et-parlée. Les phrases complètes ou tronquées y sont
toujours prononcées avec des intonations fortement connotées. Le sens du discours
y évolue d’une manière linéaire, souvent enrichie ou interrompue par des
additions d’effets. Un cas particulier est celui de poème à changement phonique
et sémantique par contagion sonore – nous avons ici en plus des traits formels
du poème sonore enrichi, le phénomène de l’imperceptible décomposition et
recomposition d’un mot en un autre mot, grâce à l’environnement sonore
contagieux ; dans un poème de Paul de Vree, par exemple, la séquence
« is a rose » est soumise à une répétition accélérée, pour se transformer
en « ambrose ». Les œuvres du groupe 2 poèmes sonores répétitifs ont souvent une durée relativement
courte. Le poème est le résultat de la répétition rigoureusement
identique, avec des intonations variées
d’un groupe de mots (deux au minimum). Le but de la variation de l’intonation
est le déplacement du sens. Chaque reprise de la cellule de base représente une
évolution par rapport à l’état antérieur dans une direction qui est conforme ou
contraire à l’attente de l’auditeur. Notre regrèté ami, le poète italien,
Adriano Spatola en est le représentant le plus connu avec ses Séduction séducteur ou Aviation aviateur.
Dans le
goupe 4 poèmes phonétique (simples ou rythmés) les phonèmes sont séparés de tout contexte
et, même lorsqu’ils sont associés les uns aux autres, n’y ont aucune vocation à
exprimer des distinctions sémantiques. Ils ont par contre une fonction de
distinction formelle (pseudo sémantique) et différencient les associations de
phonèmes formées au hasard, de sorte qu’en face des sons concrets, les phonèmes
y apparaissent comme des concepts. Le poème phonétique simple peut avoir une
structure musicale ou une structure cognitive, avec les associations ordonnées
de phonèmes. Certains poèmes phonétique ont une apparence formelle classique :
il ne leur manque ni rythme ni rimes, sauf les regrouppement des phonèmes en
unitées signifiantes. L’Ursonate de Kurt Schwitters est l’œuvre la plus
représentative de ce groupe.
Dans le
groupe 5
nous avons les poèmes sonores
rythmique à monèmes lexicaux, La base de ces poèmes sonores est le texte
rythmique ou le vers métrique. Dans le premier cas, le rythme est déterminé
.par le retour régulier des accent rythmiques, sans que l’on tienne compte du
nombre de syllabes atones intercalaires. La durée des poses joue, elle aussi un
rôle, et on peut avoir comme en musique, un temps fort sur un silence. Dans le
deuxième cas, le rythme est obtenue par la division du vers en mesures. La
mesure est alors le résultat de différentes combinations de syllabes longues et
brèves. Dans certains cas, le rythme est d’origine extérieure. Il peut provenir
d’une autre langue, d’un événement sonore d’origine humaine ou non et peut même
être une création musicale. On trouve beaucoup d’exemple dans l’œuvre de
Charles Amirkhanian, de bp Nicol, de Serge Pey et aussi dans mes œuvres
personnelles (p.ex. Poéticoncerto pour
Tché). Dans le groupe 6 (poèmes sonores à gisements sémantiques
multiples) les événements sonores sont rangés en couches superposées.
Les couches sont composées des répétitions simples ou connotées, des
épanalepses, des approximations successives, des étirements, des glossolalies,
des onomatopées, des paronomases, des poses etc. C’est par l’alignement
temporaire très strict des éléments lexicaux et sonores que le fil du discours
poétique acquiert une cohérence interne. Le maître incontesté de ce type de
poésie est Bernard Heidsieck ; son poème Tout autour de Vaduz est le morceaux d’anthologie le plus connu.
Dans le groupe
7 (poèmes en flot sonores) les monèmes lexicaux et les
événements sonores sont mélangés. Ici il n’y a pas d’organisation synthaxique.
Le message poétique comme cela arrive
souvent dans la langue orale – est la somme des sens surgis à différents
moments du déroulement de l’œuvre. Dans l’œuvre de Henri Chopin il y a
plusieurs poèmes à flots sonores. Un des plus conus est le Sol-aire.
Le
dernier, le groupe
8 poèmes sonores réalistes
est constitué par des poèmes basés sur les bruits humains buccaux ou non,
extérieurs au système phonologique – qui ont en générale un sens codé :
aspiration explosive dentale centrale, sifflement d’admiration, claquement de
doigts, battements des mains, hoquet, rire, raclement de gorge, battement du
cœur etc. La structure du poème sonore réaliste est basée sur la succession logique
des éléments ayant un sens codé. Une succession logique des bruits ayant un
sens n’est cependant ni un critère poétique suffisant, ni un critère
nécessaire. Les Crirythmes de
François Dufrène sont des exemples les plus connus de ce type.
Avant de
considérer l’ordinateur comme un lieu privilégié de la poésie sonore, nous
remarquerons qu’il est (muni de logiciels appropriés) un outil hors pair pour
réaliser toutes sortes de poèmes sonores linéaires ou dynamiques. Dans certains
cas, l’œuvre ne donnera pas d’indication pour déceler sa provenance quant à sa
fabrication, car l’auteur s’est servi d’un ordinateur uniquement pour la
dextérité et la rapidité de celui-ci à créer ou à déformer des sons, mais dans
d’autres cas, le passage par l’ordinateur d’un poème sonore laissera des traces
spécifiques fortement connotées. Les logiciels actuels offrent non seulement la
possibilité d’enregistrement mais aussi la manipulation du son. Il y a quarante
ans seulement, l’ordinateur n’était qu’une lueur pour l’artiste, et tout
particulièrement pour l’homme littéraire, non pas une lueur d’espoir mais une
lueur électronique dans la petite lucarne tant décriée. Il représentait
l’inconnu d’une étendue immense parsemée de grains de transistors et de racines
mathématiques, enfermée dans une boîte magique.
L’ordinateur
avec ses logiciels actuels dépasse de très loin les savoirs faires des magnétophones.
Il est l’outil le plus perfectionné pour créer des poèmes sonores. Non seulement
il est capable de produire presque tous les effets sonores cités jusqu’ici,
mais avec de la programmation il ouvre une dimension supplémentaire. Par les
possibilités combinatoires, par l’intervention du hasard et par l’interaction
du lecteur-spectateur le poème sonore devient dynamique : à chaque
présentation l’œuvre donne l’impression qu’elle est la même tout en étant
différente.
A. G. – Pour conclure, voyez-vous une raison de séparer la
création poétique par ordinateur de celle de l’écriture sur papier ?
Est-il justifié d’affirmer que la poésie n’est que sur la page?
T. P. – En aucun cas je ne peux imaginer une
séparation entre une œuvre poétique créé sur ordinateur et une œuvre poétique
couchée sur papier (ou n’import quel autre support rigide). La poésie, pour
moi, est une affaire de forme et de l’investissement humain, mais cette forme
et cet investissement sont indépendant du support. Ce n’est pas en rapport avec
la poésie classique (sonnets, alexandrins et compagnie) que les œuvres
dynamiques créées sur ordinateur devront être jauger, juger, analyser. Pourquoi
un poème visuel statique devrait être considérer poétiquement différent selon
qu’il est réalisé sur papier ou sur écran ? .
Pour
aller vers un mode non plus technique mais philosophique, je voudrais rappeler que
Heidegger, en parlant de l’essence de la poésie à propos de Hölderlin, avance
l’idée que la «poésie a l’air d’un jeu
et pourtant elle n’en est pas un. Le jeu rassemble bien des humains, mais de
telle sorte que chacun s’y oublie précisément soi-même. Dans la poésie au
contraire, l’homme est concentré sur le fond de son être-là.» [5] La
concentration sur le fond de son être-là suggère une présence quasi physique du
poète dans son œuvre qui semble être éclairée par l’incomparable souverenté du
moi, une émanation de la spécificité de l’expression, celle qui émerge du
temps, celle qui avec ses imperfections devient le ressort de l’infini. Cette
présence, cet être là se concrétise dans la réalisation d’une œuvre poétique
qui n’est comparable à aucun autre. La condition de cette exclusivité de
l’expression est l’engagement littéraire du poète impliquant une volonté de
marquer sa présence au sein même de la littérature. Cette présence est une
voix unique ; elle se fait entendre exclusivement à partir de la
littérature, elle est influencée par la forme de l’œuvre, par le rapport avec
d’autres œuvres poétiques, par la langue, par le temps, par l’époque, par la
situation géographique, par la situation sociale etc´. A partir de l’état de la
littérature, le poète met en évidence l’époque quand il veut se mouvoir dans un
intervalle humainement palpable, il privilégie le lieu quand c’est le «hic et
nunc» qui l’intéresse avant tout, il fait appel à la langue quand il veut
déréglér ses normes, ses tabous, ses formes, il s’attaque à l’état de la
littérature quand personne n’attend sa secousse, il conteste ou approuve le
rôle social de la littérature quand sa négation ou approbation aumente la
force des mots, il attaque la forme poétique quand la grisaille créée par les
inlassables répétitions devient insupportable, il réhabilite ou rebâtit ses
contraintes en créant des formes nouvelles. Il en va de même pour les auteurs
de la poésie sonore, visuelle ou dynamique sur ordinateur.
Tibor PAPP
[1] Jacques Mehler, Thomas G. Bever et Peter
Carey : « Que regardons nous quand nous lisons ?
» in textes pour une psycholinguistique, ed. Mouton 1974, p. 279.
[2] Communication aux Journées
« Écrivain-ordinateur », juin 1977.
[3] La fabrication mécanique de
textes poétics n’était pas un procédé totalement inconnu ; rappelons-nous
le célèbre poème combinatoire de l’écrivain allemand Quirinius Kuhlmann :
le 43e
baiser d’amour, publié en 1671, et plus près de nous, les Cent mille
milliards de poèmes de Raymond Queneau, publiés en 1961. (Ni l’un, ni
l’autre n’ont eu recours à l’ordinateur)
[4] Une poésie de l’espace, Paul Zumthor in Poésies
sonores. Éd. Contrchamps, 1992, p. 5)
[5] Martin Heidegger, Approche de Hölderlin,
Gallimard, 1962, p. 57)
<REVISTA TEXTO DIGITAL>