<REVISTA TEXTO DIGITAL>

ISSN 1807-9288

- ano 5 n.1 2008 –

http://www.textodigital.ufsc.br/


 

 

INTERVIEW DE TIBOR PAPP PAR ALEXANDRE GHERBAN

(2008)

 

 

 

A. G. – Tibor papp, vous êtes l’un des rares auteurs qui ont une œuvre littéraire où participent à titre égal l’écriture et l’informatique. Comment êtes-vous arrivé à la création littéraire par ordinateur ?

 

T. P. Au départ (au milieu des années ’60) ce sont mes visites régulières dans une grande imprimerie au 10e arrondissement de Paris pour superviser la fabrication de la revue Magyar Mûhely (Atelier Hongrois) qui m’ont conduit à réflèchir sur les com­posants visuels de l’écriture. C’est à ce moment là, que dans ce domaine le rôle de la typo­graphie m’est devenue une évidence. Je me suis rendu compte que le visible altère le message de l’écriture dans le bon ou dans le mauvais sens, et de plus, cette altération maîtrisée peut devenir un atout poétique. A partir de ces constatations j’ai fait un appren­tissage et je suis devenue typographe. La poésie visuelle (celle de Dom Sylvester Houé­dard, de Henri Chopin, de Pierre Garnier, des frères de Campos, de Tim Ulrichs et celle des auteurs d’avant-garde du début du 20e siècle, notamment le hongrois Lajos Kassák qui est devenue plus tard un point de triangulation poétique important pour moi et mes amis de l’Atelier Hongrois etc. etc.) me semblait être la forme la plus adéquate a mes aspirations.

 

En plus un essai de 1926 d’un universitaire hongrois, Béla Zolnai consacré à la langue visible m’a conforté dans mes approches de ce problématique, ainsi que les recherches des trois psycholinguistes : Jacques Mehler, Thomas G. Bever et Peter Carey m’ont éclairé, bien que l’application de leur recherche, a ma connaissance, n’a jamais été étendue au niveau litteraire [1]. C’est à partir de la grammaire générative et transformationnelle, qui est la base fondamentale de l’analyse structurale des phrases, qu’ils cherchaient une réponse a la question «quels sont les aspects de la structure de la phrase qui dans la lecture affectent le balayage visuel». En générale disent-ils dans une remarque, «les fixations sur les espaces ont été plus nombreuses que l’on ne l’aurait attendu du modèle». (fixation = un temps d’arrêt du mouvement occulaire (au moins 0,1 sec.)), cela veut donc dire que le lecteur lit les blancs. Par conséquent, les blancs normaux et supplémentaires (par rapport à l’image textuelle traditionnelle) sont bien perçu par le lecteur, mais la règle résultant de leurs experiences et qui nous intêresse au plus haut point est la suivante: dans le cas des mots isolés, il y a autant de fixations sur la première moitié du mot qu’il contient de structures syntamatiques de surface ; en outre «cette règle s’applique de façon récursive a tous les niveau de la structure syntagmatique de surface.» Par exemple, sur le mot jalousie, isolé,  l’œil s’arrêtera deux fois plus longtemps sur les cinq premières lettres (jalousie) que sur la deuxiéme moitié du mot, puisque le mot se décompose en deux unité constituants. Le même mécanisme va agir concernant le mot soucieux en situation isolé.

 

Le mariage entre le mouvement et le texte dans les poèmes mobiles (sculptures mobiles) du poète anglais Kenelm Cox, ainsi que les cadrans solaires de Ian Hamilton Finlay avec l’ombre se déplaçant de texte en texte me semblaient être une voix à explorer . Depui le début des années ’70 j’ai créé des diaporamas dans lesquels j’ai réussi à faire bouger mes textes de différentes manières. La plus simple était de me mettre tout en blanc devant le grand écran sur lequel le poème a été projeté, en me déplacant, le texte pour le public s’est mis en mouvement comme des vagues, aussi avec l’aide d’un carton blanc je soulevais des mots de l’écran, donnant ainsi l’impression d’un texte en trois dimensions. De même, à l’aide du fondu enchainé je pouvais faire bouger virtuellement les objets (y compris les textes) sur l’écran.

 

En 1983 ma sœur, prof de math dans une ville de province en Hongrie m’a demandé de lui apporté de France un ordinateur Sinclair ZX81, un appareil minuscule, pas plus grand qu’une boîte à cigar. (Pour ce genre d’objet – pour des raison économique et aussi idéologique – la Hongrie était encore très fermé.) J’en ai acheté un au mois de septembre pour lui offrir comme cadeau de noël. Pendant les trois mois en attendant noël j’ai exploré la petite machine avec l’idée de voir si en littérature elle pourrait servir à quelque chose. J’ai assez vite appris le langage basic et je me suis mis à programmer des petits poèmes visuels dynamiques. Le résultat n’était qu’un balbutiement, mais laissait entrevoir une poésie visuelle en mouvement, autrement dit, c’est par ce biais que l’ordinateur peut réellement donner un plus à l’expression poétique. A cette époque je venais de publié mon quatrième livre de poésie : Vendég­szö­ve­gek 2, 3 (Textes invités 2, 3) de 320 pages, considéré dans les milieux littéraires hongroises comme un des point de mire de la nouvelle poésie vi­suelle.  

 

Dès mon retour à Paris j’ai acheté un Amstrad 64, une machine plus puissant que le Sinclair ZX81, qui ne permettait d’enregistrer le programme que sur bande magnétique, puis je suis devenue propriétaire d’un Amstrad 128 (avec disquette). Je me suis mis au travail et j’ai présenté ma première œuvre Les très riches heures de l’ordinateur no 1 au Centre Georges Pompidou en juin 1985.

 

A. G. Vous dites, lorsque vous parlez de la découverte des nouvelles possibilités offertes par l’ordinateur : « donner un plus à l’expression poétique ». Quel est ce « plus » que l’ordinateur apporte à l’expression poétique ?

 

T. P. On peut parler de ce quelque chose de plus à partir de la fin des années 50s, très précisément à partir de l’expérience poétique en 1959 de Théo Lutz, étudiant à la Technische Hohschule de Stuttgart qui, basée sur le potentiel combinatoire (minime à l’époque) de l’ordinateur, donnait déjà un avant goût des possibilités littérairement pertinentes. Un peu plus tard d’autres tentatives de même ordre ont débouché sur la création de petits programmes permettant de générer des textes brefs, des haïkus, des alexandrins etc. C’est l’Ouvroir de Littérature Potentielle, connu sous le nom d’Oulipo qui – prédestiné par ses travaux anté­rieurs – s’est tourné vers l’ordinateur. « Dans un premier temps, – écrit Paurl Fournel [2] – le travail a porté sur un matériau littéraire préexistant, il y a en effet, quelques œuvres combina­toires ou algorithmiques dont l’ordinateur peut grandement faciliter la lecture. La machine fait ici un simple travail de sélection et d’édition.» [3] Le poème de Raymond Queneau Cent mille milliards de poèmes fut porté par Oulipo sur ordinateur et présenté sous cette forme (c’est-à-dire sélection à l’intérieur de la  machine, puis impression sur papier) aux manifes­tations de l’Europalia en 1975 à Bruxelles. Plus tard, étant mécontent du résultat de ce pro­gram­me oulipien, car le papier était toujours indispensable pour faire parvenir au lecteur le résultat, j’ai fait un programme moi-même (publié dans alire 1) avec des couleurs différentes pour chacun des dix sonnets de base, dont le résultat n’est visible que sur écran.

 

Je me suis rendu compte que c’est par le support que les nouvelles créations tendent à déborder les traditions. Ces œuvres nouvelles ont leurs origines dans la littérature visuelle en général. Elles ne s’inscrivent plus sur une feuille de papier, mais sur un écran. N’empêche, que pour agir d’une manière conscient le poète créant des œuvres dynamiques sur ordinateur, doit connaître les formes de la poésie visuelle et de la poésie sonore. Car, en poésie la pleine jouissance d’un morceau est lié – comme il se doit – à la forme poétique aussi. Il doit pouvoir discerner sur l’écran la différence entre une dispo­sition topo-logique et topo-syntaxique (par exemple, reconnaître un logo-mandala). Il doit savoir ce qu’est une formation icono-logique. Savoir que les calligrammes (icono-logique par excellence) peuvent être rangés dans quatre groupes : Calligramme 1 : dans lequel le texte du poème est linéaire, répond aux normes syntaxiques, tandis que la partie graphique n’est qu’une illustration du texte. Dans les calligrammes de type 2, le texte du poème répond aux normes syntaxiques, mais dans sa totalité n’est pas linéaire (d’où l’incertitude du début et de la fin). Dans les calligrammes de type 3, le texte ne répond pas dans sa totalité aux normes syntaxiques. Les unités textuelles ne sont pas obligatoirement liées entre eux. Dans les calligrammes de type 4, le texte ne répond pas aux normes syntaxiques et il n’est jamais linéaire, en plus, les bribes de textes ne sont pas obligatoirement en rapport direct avec le graphisme du poème. Dans les œuvres visuels icono-syntaxique, les signes (les lettres) formant le poème sans ajout graphique constituent une icône. Les poèmes visuels basés sur un schéma graphique ou typographique est un sous-groupe de l’ensemble topo-logique. Ici la structure de l’œuvre est basé sur un schéma figé (comme les cartes routières, ou les mots croisés etc.). Les poèmes tychosyntaxiques ont comme structure directrice : la permutation. Les poèmes visuels anti-syntaxique ne rapellent la langue que par allusion. Ils sont à la limite de la poésie visuelle, mais ils penchent toujours du côté de la langue. Les œuvres poètiques conceptuelles sont les fruit d’une idée arrivé comme un éclaire, retenue par le poète, leurs dénominateur commun est l’isolation (qui oblige le lecteur de chercher une structure pour assimiler l’œuvre). Cette structure sera parfaitement unique, car elle n’existe que dans la tête du lecteur.

 

Sans aller trop loin, il est souhaitable que le poète programmant sur ordinateur ses œuvres se familiarise aussi avec des éléments des formes poétiques des siècles passés – qu’il sache qu’est-ce l’acrostichon, le mesostichon, le telestichon, l’isogrammatistichon (certaine lettre de différent vers correpondent là ou les vers se croisent) etc. etc.

 

Avec l’arrivé des ordinateurs un des changements profonds par rapport au papier réside dans le cinétisme de l’inscription. Le déjà-et-toujours-là de l’œuvre sur le support donne sa place à une surface en gestation. Au lieu d’être présent, le texte arrive, apparaît. Son apparition peut être globale et instantanée, ou bien peut être un enchaînement d’« arrivé » contrôlées de ses éléments (juxtaposés ou non). Le contrôle s’exerce aussi bien sur les intervalles de temps entre l’arrivée des éléments, que sur l’emplacement de l’inscription (ainsi que sur le ou les directions de son déplacement).

 

Dans un premier temps on peut considérer que les phénomènes en jeu (le cinétisme en particulier) viennent de l’art cinématographique. La différence primaire réside dans le fait que l’ordinateur est praticable individuellement tandis que l’art cinématographique est collectif par essence. Mais comme le mouvement du texte dans l’espace et dans le temps est lié au mécanisme de l’inscription, et comme l’ordinateur abrite des possibilités inconnues du cinéma ; en explicitant  ces dernières, la différence s’approfondit. La virtualité, et les phénomènes aléatoires (indispensables pour les œuvres basées sur la combinatoire) qui en découlent en sont l’exemple type.

 

Parmi les parties aléatoires dans le programme qui ne concerne pas l’œuvre dans sa totalité et qui peut être circonscrite à une ou plusieurs séquences relativement courtes, tout en étant limité dans ses variantes, confère à l’œuvre la possibilité d’apparaître d’une manière différente à chacune de ses représentations, tout en gardant son identité globale.

 

Le texte d’une œuvre visuelle sur ordinateur doit se confronter tout au long de «sa réalisation» (en dehors de sa compétence poétique dans le sens classique de ce terme)  à trois constituants hors-langue : le temps, la topographie et le mouvement.

 

Sur le papier le texte est immuable, intemporel, par contre, sur l’écran il a une durée, il a des temps forts et des temps faibles. Il y a d’abord le temps de l’attente, puis le temps d’apparition, ensuite le temps de présence, qui est la somme des temps d’état statique, cinétiques, scintillants ou non scintillants, latents ou réel du texte – ensuite vient le temps (l’instant) de la disparition qui est généralement suivi par un temps d’écho. Du point de vue topologique, un texte doit se conformer au sens de l’écriture (de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas) et au système des coordonnées de la surface (perpendiculaire ou non, en deux dimensions réelles, en trois dimensions suggérées etc.)

 

Le mouvement du texte sur ordinateur est fonction du temps et du déplacement de ses éléments graphiques dans l’espace. La présence des deux facteur donne un mouvement réel, tandis que sans déplacement on peut avoir un mouvement virtuel (par exemple scintillement, apparition-disparition répétées etc.) L’effet sur le texte de ces constituants hors-langue peut être très bénéfiques, mais aussi pervers et/ou contradictoire. Un écart du sens résultant de deux lectures d’un même et unique texte peut être obtenu par un simple déplacement temporaire des éléments – et ainsi contredire la lecture effectuée avant le déplacement topographique de ces mêmes éléments.

 

A. G. – Vous définissez donc ici la «poésie dynamique», séparée de la poésie com­binatoire, en détaillant ses effets, ses moyens de création et ses manières de se proposer à la lecture sur écran . Pionnier de cette nouvelle poésie, vous avez créé , en 1985 , le pre­mier poème dynamique par l’ordinateur «Les très riches heures de l’ordinateur no 1»; ce fait est reconnu par toutes les histoires de la poésie et de la littérature numérique . Pouvez-vous nous dire quelque mots de cette œuvre, des conditions de sa création, de vos visées artistiques la concernant, de vos difficultés techniques auxquelles vous avez du faire face à l’époque de sa création?

 

T. P. Pour la fin des années 80s j’ai accumulé un certain nombre d’expériences dans la poésie. Pour commencer, en 1964 j’ai publié un recueil d’aspect classique, mais aussi un poème sonore « Rythmes païens » (qui est devenue une pièce d’anthologie). Mes recueils suivants s’ouvraient de plus en plus à la visualité jusqu’à ce qu’elle est devenue l’identifiant de toutes mes créations poétiques. Mon livre Vendégszövegek 2,3 (Textes invités, 2,3 – 320 pages) publié en 1984 est un premier aboutissement de mes visés poétiques sur support statique.

 

Dès que j’ai possédé un ordinateur Amstrad 64 pourvu d’un logiciel de programation en basic, je me suis mis à créer des petits programmes mettant en jeux des mots qui se déplacaient dans tous les sens sur l’écran, puis j’y ajoutais des éléments graphiques, tel que lignes, carrés, cercles etc. L’apparition du même mot avec le même cercle créait un lien de parenté entre l’écrit et la forme graphique. J’ai agit de tel sorte que la non apparition de l’un souligne sa manque et ainsi son existence bien que non visible. Comme les vers dans un poème classique, les petits ensembles texte et forme graphique représentaient des unités à assembler de manière à donner un sens à leur proximité. Morceau par morceau, brique par brique j’ai essayé de bâtir un ensemble pertinant (poétiquement parlant).

 

En même temps, poussé par ma curiosité de voir une autre langue dans l’arène, j’ai mis à l’œuvre ma langue maternelle, le hongrois dans un travail similaire que j’ai créé parallèlement avec le français dont le titre est : Vendégszövegek számítógépen no 1 (Textes invités sur ordinateur no 1).

 

Dès le départ je me posais la question : quelles sont les composants de l’œuvre programmée qui sont lié uniquement à l’ordinateur. Pour commencer : le combinatoire en était un. Je trouvais extrêmement enrichissant le fait de changer le mot qui se trouve à un emplacement donné par un autre, puis encore un autre, et encore... et encore. Dans ce cas là le déroulement de l’œuvre est autant de fois différent qu’on a des éléments combinés.

 

En deuxième lieu le hasard m’est apparu comme une possibilité très bénéfique à la poésie. La présence virtuelle de l’inconnu, de l’inattendu, de l’incontrôlable agit comme si on soufflait la vraie vie dans l’œuvre. Cela ressemble étrangement à notre vie avec toutes les imprévues subis de l’enfance jusqu’à un âge avancée. Il est imprévisible, même les Moiras ne peuvent filer un fil pour nous sans nœuds imprévisibles.

 

Le troisième spécificité d’une œuvre programmée sur ordinateur est la possibilité offert au lecteur/spectateur d’intervenir directement dans le déroulement du poème dyna­mique.

 

La durée de ma première création variait entre 6 minutes et demi et sept minutes. Malheureusement la mémoire vivante de l’Amstrad 64 n’était pas capable d’emmagasiner le programme en entier. J’ai donc coupé l’œuvre en deux. (et peu de temps après je me suis mis à programmer en langage machine pour gagner de la place dans la mémoire et aussi pour la vitesse – 100 fois supérieur au langage basic). Chaque moitié étant enregistrer sur bande magnétique, à la fin de la première moitié le poème s’arrêtait avec une image statique sur écran en attendant que la deuxième moitié soit chargée. Le chargement représentait 1 minute et 20 seconds – puis le déroulement de l’œuvre continuait jusqu’à la fin. Pour palier ce problème, j’ai demandé à un pianiste de jazz bien connu, Faton Cahen, d’accompagner ce poème dynamique comme on faisait avec les films muets. Pour meubler le temps de chargement j’ai lu un texte sur fond musical. Le tour était joué. Évidemment, le publique ne se rendait compte de rien.

 

Je dois dire que les techniciens du Centre Georges Pompidou étant très exités par le problème ont travaillé pendant deux jours pour réaliser le lien direct entre mon Amstrad 64 et le grand projecteur Barco de la Petite Salle du Centre. Ainsi l’œuvre était projeté sur un grand écran et sur une dizaine de petite lucarne descendant du plafond dans la salle. Le résultat était inattendu et (surtout pour moi) magique. Cette présentation avait un retentissement non seulement dans les milieu des poètes d’avant-garde de l’époque mais jusqu’au journal Le Monde.

 

L’œuvre en langue hongroise (citée plus haut) que j’ai créée parallèlement avec le français a été présentée au publique hongrois au début d’août 1985 à Kalocsa, petite ville au centre de la Hongrie, à l’occasion de la réunion annuelle des collaborateurs et sympathisants de la revue littéraire Hongroise Magyar Mûhely, éditée à Paris, dirigée par Alpár Bujdosó, Paul Nagy et moi-même.

 

Au milieu des années 80s à l’aide d’un sythétiseur vocal la plupart des ordinateurs étaient capable de « parler ». Cette spécificité à ma connaissance n’a suscité qu’une seule réalisation littéraire achevée, l’ouvrage intitulé : « Mnésis » de Claude Maillard.

 

A cette même époque la volonté des artistes de conquérir les nouveau horizons offert par l’électronique était de plus en plus visible. Orlan, artiste confimée et le jeune Frédéric Develay ont fondé la revue Art Accès, revue télématique d’art contemporaine, sur Minitel. La pauvreté graphique et cinétique du Minitel n’a pas empêché les créateurs de donner le mesure de leur talent. En contemplant les œuvres on peut vite se rendre compte de l’importance des constituant « hors langue » dans une structure textuelle. Certains artistes ont exploité le temps de l’attente, le temps de la présence et le temps de l’écho du texte, d’autres penchait plutôt vers le mouvement réel, John Cage par exemple insistait sur la topographie. Dans mon ouvre (préfacée par Jean-Jacques Lebel) « Comme la vanille en poudre » programmée directement sur le Minitel avec l’aide d’un logiciel spécifique, j’ai combiné les trois constituants hors-langue pour meubler la surface, et le temps.

 

A. G. A la même époque, vous avez co-fondé avec Philippe Bootz l’Association L.A.I.R.E. (Littérature, Art, Innovaion, Recherche, Écriture) qui donnait naissance  peu après à «alire», première revue de littérature informatique sur support numérique ? Quels étaient les buts de cette revue, en quoi se séparait-elle des autres revue existantes?

 

T. P. Vers 1986-87 un jour Philippe Bootz est venu chez moi avec son Atari pour me montrer ses réalisations de poésies dynamiques sur son ordinateur. Ayant pris dans la matière la même direction, c’est-à-dire la création poétique par programmation, nous nous sommes vite sympathisés et sommes devenus amis. C’était très important à l’époque de trouver une âme-sœur dans un monde où l’ordinateur ne servait même pas de machine à écrire pour les poètes ou pour les écrivains. On peut dire qu’il y avait une hostilité générale surtout dans les milieux littéraire envers l’ordi­nateur. En Hongrie, où après la parution d’un de mes générateur de poésie (des disti­ques), j’ai eu droit à une émission d’un quart d’heure à la télévision nationale, la réception du publique (les littérateurs en particulier) était très négative. Comme le diable des siècles passés, l’ordina­teur – bien que sans queue ni corn – suscitait peur et dégoût, devenait le symbole de l’inhu­main surtout dans la création poétique. Les critiques de l’époque ne s’intéresaient qu’aux données chiffrés, qu’aux nombres de com­bi­naisons possibles et les ratés futures du pro­gramme. Ce n’est que depuis deux-trois ans que les vents commencent à tourner, que les jeunes critiques littéraires s’ouvrent vers ces cieux inconnus, bien que jusqu’à nos jours, en dehors de ma production il n’y a pas d’autre œuvre dynamique sur le horizon hongrois. C’est entre autre par rapport à cela que je peux mesurer la richesse dans ce domaine en France.

 

Ayant à l’époque une bonne vingtaine d’années d’expérience comme dirigeant de revues littéraires francaises (Dialogue à Liège en 1960, d’atelier à Paris à partir de 1972) et hongroise (Magyar Mûhely à partir de 1962 – une revue qui existe toujours), j’étais conscient de tout les biens que l’effervescence (les soirées poétiques, les présentation des numéros, les voyages, les sorties, les amitiés)  autour d’une revue apporte à ceux qui s’y adhèrent.

 

Nous nous sommes tombés d’accord avec Philippe de fonder une revue littéraire pour donner une espace dynamique, pour ouvrir une fenêtre vers le monde pour nos œuvres. Nous avons contacté Claude Maillard, auteur d’une œuvre sonore de synthèse vocale sur ordi­nateur intitulée Mnézis (1983) que je connaissais grâce au Festival Polyp­honix (dont je faisait partie de la direction à l’époque), ainsi que Jean-Marie Dutay, ami et co-auteur avec Philippe Bootz de quelques expositions poétiques, ainsi que Frédéric de Velay, poète, plasticien et animateur d’Art-Accès sur Minitel. A partir de 1987 l’équipe de Laire s’est constituée et s’est mis au travail pour matérialiser les idées émanant des réunions du groupe. La nouvelle revue éditée par le groupe Laire avait été baptisé alire (anagramme de laire) et soustitrée Revue animée d’écrits de sources électroniques.

 

L’animation poétique programmée était une de nos préoccupations pricipales. Comme disait Philippe Botts dans ses notes du deuxième numéro d’alire «J’usqu’à présent, l’orale et l’écrit se trouvaient très nettement séparés et l’abord de l’un ou de l’autre faisaient intervenir chez le lecteur ou l’auditeur des mécanismes différents. L’animation bouleverse cette donnée...».

 

Après une année de préparation le premier numéro d’alire a été présenté, grâce à l’ouverture bienvaillant de Blaise Gauthier, au Centre Georges Pompidou en janvier 1989. A l’époque de la naissance d’alire, il n’y avait pas d’autres revue littéraire consacrée aux œuvres programmées sur ordinateur ni en France, ni en Europe, ni ailleurs. Deux ans plus tard, en 1991, l’apparition de la revue KAOS de Jean-Pierre Balpe représentait une seconde ouverture, qui par sa présence renforçait aussi notre démarche

 

La présence dans le paysage francais de la revue DOC(K)S, bien que sur papier, jouait aussi un rôle important dans la hardiesse des créateurs. On y trouvait des créations poétiques résolument contemporaines. Les auteurs, nos ainés, les plus modernes comme Pierre Garnier, Ernst Jandl, Eugène Gomringer, les frères de Campos etc etc étaient régulièrement présent dans ses pages. J’était persuadé (je le suis toujours) que la poésie programmée sur ordinateur trouvera la légitimation de son appartenance à la littérature par les liens avec ces poètes.

 

Pendant la préparation du premier numéro d’alire nous nous sommes mis de travailler en tendème avec Claude Maillard poète, écrivain, psychanalyste, auteur d’une trentaine de livre, pour créer des poèmes dynamiques, des poèmes sonores etc. Nos séances hebdoma­daires (qui n’ont pas cessés depuis) ont porté leurs fruits. : 8 poèmes dynamiques programmés en Quick basic, sous le titre de Dressages, puis des poèmes programmés en Director, comme Argentina, Rupture, Cette phrase, En hâte, des poèmes sonores comme Ourlure, Le 21 h 20 etc. et même un livre : Icônes en 1991 (édité par Magyar Mûhely/d’atelier Pairs, Wien, Budapœst). Dans le travail poétique nous sommes devenues inséparable, mais chaqu’uns de nous poursuit sa carrière individuelle : qui donne de côté de Claude Maillard une dizaine de livres et une quinzaine de mon côté dont Vendégszövegek (n) – Textes invités (n) – (800 pages, mes œuvres poétiques complètes du début, jusqu’à 2003) et le tout dernier Bûvös négyzetekCarrés magiques – (64 pages, Budapest 2007). J’ai présenté mes œuvres dyna­mique programmées sur ordinateur en France (à Paris, à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Caen, à Arras etc.) en Allemagne, en Belgique, en Autriche, en Hongrie, en Holland, en Angleterre, aux États Unis (à New York, à San Francisco) au Québec, en Italie etc.

 

A. G. – Vous avez accordé une place importante dans votre création à la poésie sonore. A sa pratique et à la réflexion sur ses caractéristiques . Comment l’ordinateur intervient dans cette pratique?

 

T. P. – A la fin des années 60s, au moment où j’étais en train de créé le Rythme païen Francis Edeline, qui avait (et a toujours) une vue très étendue et structurée sur la création poétique contem­poraine, m’a mis la puce à l’oreille. L’idée de réaliser avec les mots des ensembles sonores artistiquement pertinants ne m’étais pas étrangère : au Lycée à Debrecen (Hongrie) j’étais soliste dans un cœur mixte (garçons et filles) récitant de la poésie et présentant certains textes d’une manière non linéaires, c’est-à-dire les vers se chevauchaient, s’entremélaient, créant ainsi des effets purement sonore tout en donnant vie à un message poétique différant d’une simple lecture.

 

Un peu plus tard, je me suis rendu compte que la poésie sonore a ses règles, ses formes, ses contraintes – même si elles ne sont pas explicitées. Il m’a vite paru évident que la poésie sonore est une émanation de la langue orale, celle que défendait Claire Benveniste contre la langue mixte (écrite et parlée) et elle est à l’opposée de la poésie visuelle. Un poème sonore n’a d’équivalant écrit, elle est à la rigueur fixèe sur papier par une partition appro­ximative. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale – avec l’apparition des magné­tophones vendus à un prix abordable pour les poètes – que la fixation électronique (l’enre­gistrement) et la transmission électro-acoustique des poème est devenue une réalitée quotidienne.

 

Oú se situe la poésie sonore, par rapport à la poésie dans son ensemble ? Je me tourne vers le regretté Paul Zumthor, pour qui c’est « au milieu des autres poésies – orales ou non – avec lesquelless, elle coexiste, c’est par opposition à elles que la poésie sonore trouve sa légitimité manifeste et sa fonction historique. » [4]

 

Sous un angle purement technique, les œuvres de poésie sonore de nos jour se divisent en trois familles distinctes : dans la première, nous trouvons les poèmes sonores linéaires, inscrits sur un support unidirectionnel, tels la bande magnétique, le disque vinyle ou le CD audio ; dans la deuxième se trouvent les poèmes sonores dynamiques, mus par un programme, enregistré sur disque ou CD-ROM, dont la variabilité fait partie intégrante de l’œuvre, tandis que dans la troisième famille nous avons les performances de poésie sonore, dont la réali­sation ne se confond jamais avec la simple restitution sonore d’un enregistrement quelconque mais qui peuvent être accompagnées par des événements sonores créés sur le champ et dirigés par un programme d’ordinateur.

 

Les magnétophones et plus tard les ordinateurs (avec des logiciels spécifiques) offrent non seulement la possibilité d’enregistrement, mais aussi la manipulation (dédoublement, déformation stc.) du son. Les procédés techniques les plus courants sont 1) les montages en couches multiples, 2) coupures et collages (en gros deux types : les coupures simple qui servent à éliminer des événements sonores inutiles, par contre les coupures complexes servent à modifier la chaîne sonore en générale et la chaîne parlée en particulier, comme la défor­mation des mots par raccourcissement, par addition, par coupure et collage inattendus (cut up), par boulversement de la succession des événements sonores etc.), 3) utilisation des effets électroniques par lesquels on peut obtenir des sons totalement différents de l’original, ou créer des sons qui n’existaient pas auparavant. On peut ainsi, tirer d’une source simple des sonorités complexes imitant la nature, ou à différentes vitesses obtenir des bruits non articulés et même des sonorités quasi-musicales.

 

Ayant approfondi ces données j’ai constitué une typologie des poèmes sonores, qui tient compre des sons de toutes origines (humaine ou autre). L’idée directrice de départ y était d’établire une sorte d’échelle d’éloignement des œuvres par rapport à la langue « écrite-et-parlée ». Ainsi le groupe 1 poèmes enrichis en sonorités est proche de la langue écrite-et-parlée. Les phrases complètes ou tronquées y sont toujours prononcées avec des intonations fortement connotées. Le sens du discours y évolue d’une manière linéaire, souvent enrichie ou interrompue par des additions d’effets. Un cas particulier est celui de poème à changement phonique et sémantique par contagion sonore – nous avons ici en plus des traits formels du poème sonore enrichi, le phénomène de l’imperceptible décomposition et recomposition d’un mot en un autre mot, grâce à l’environnement sonore contagieux ; dans un poème de Paul de Vree, par exemple, la séquence « is a rose » est soumise à une répétition accélérée, pour se transformer en « ambrose ». Les œuvres du groupe 2 poèmes sonores répétitifs ont souvent une durée relativement courte. Le poème est le résultat de la répétition rigoureusement identique,  avec des intonations variées d’un groupe de mots (deux au minimum). Le but de la variation de l’intonation est le déplacement du sens. Chaque reprise de la cellule de base représente une évolution par rapport à l’état antérieur dans une direction qui est conforme ou contraire à l’attente de l’auditeur. Notre regrèté ami, le poète italien, Adriano Spatola en est le représentant le plus connu avec ses Séduction séducteur ou Aviation aviateur.

 

Dans le goupe 4 poèmes phonétique (simples ou rythmés)  les phonèmes sont séparés de tout contexte et, même lorsqu’ils sont associés les uns aux autres, n’y ont aucune vocation à exprimer des distinctions sémantiques. Ils ont par contre une fonction de distinction for­melle (pseudo sémantique) et différencient les associations de phonèmes formées au hasard, de sorte qu’en face des sons concrets, les phonèmes y apparaissent comme des concepts. Le poème phonétique simple peut avoir une structure musicale ou une structure cognitive, avec les associations ordonnées de phonèmes. Certains poèmes phonétique ont une apparence formelle classique : il ne leur manque ni rythme ni rimes, sauf les regrouppement des phonèmes en unitées signifiantes. L’Ursonate de Kurt Schwitters est l’œuvre la plus représen­tative de ce groupe.

 

Dans le groupe 5 nous avons les poèmes sonores rythmique à monèmes lexicaux, La base de ces poèmes sonores est le texte rythmique ou le vers métrique. Dans le premier cas, le rythme est déterminé .par le retour régulier des accent rythmiques, sans que l’on tienne compte du nombre de syllabes atones intercalaires. La durée des poses joue, elle aussi un rôle, et on peut avoir comme en musique, un temps fort sur un silence. Dans le deuxième cas, le rythme est obtenue par la division du vers en mesures. La mesure est alors le résultat de différentes combinations de syllabes longues et brèves. Dans certains cas, le rythme est d’origine extérieure. Il peut provenir d’une autre langue, d’un événement sonore d’origine humaine ou non et peut même être une création musicale. On trouve beaucoup d’exemple dans l’œuvre de Charles Amirkhanian, de bp Nicol, de Serge Pey et aussi dans mes œuvres personnelles (p.ex. Poéticoncerto pour Tché). Dans le groupe 6 (poèmes sonores à gisements sémantiques multiples) les événements sonores sont rangés en couches superposées. Les couches sont composées des répétitions simples ou connotées, des épanalepses, des appro­ximations successives, des étirements, des glossolalies, des onomatopées, des paronomases, des poses etc. C’est par l’alignement temporaire très strict des éléments lexicaux et sonores que le fil du discours poétique acquiert une cohérence interne. Le maître incontesté de ce type de poésie est Bernard Heidsieck ; son poème Tout autour de Vaduz est le morceaux d’anthologie le plus connu. Dans le groupe 7 (poèmes en flot sonores) les monèmes lexicaux et les événements sonores sont mélangés. Ici il n’y a pas d’organisation synthaxique. Le message poétique  comme cela arrive souvent dans la langue orale – est la somme des sens surgis à différents moments du déroulement de l’œuvre. Dans l’œuvre de Henri Chopin il y a plusieurs poèmes à flots sonores. Un des plus conus est le Sol-aire.

 

Le dernier, le groupe 8 poèmes sonores réalistes est constitué par des poèmes basés sur les bruits humains buccaux ou non, extérieurs au système phonologique – qui ont en générale un sens codé : aspiration explosive dentale centrale, sifflement d’admiration, claque­ment de doigts, battements des mains, hoquet, rire, raclement de gorge, battement du cœur etc. La structure du poème sonore réaliste est basée sur la succession logique des éléments ayant un sens codé. Une succession logique des bruits ayant un sens n’est cependant ni un critère poétique suffisant, ni un critère nécessaire. Les Crirythmes de François Dufrène sont des exemples les plus connus de ce type.

 

Avant de considérer l’ordinateur comme un lieu privilégié de la poésie sonore, nous remarquerons qu’il est (muni de logiciels appropriés) un outil hors pair pour réaliser toutes sortes de poèmes sonores linéaires ou dynamiques. Dans certains cas, l’œuvre ne donnera pas d’indication pour déceler sa provenance quant à sa fabrication, car l’auteur s’est servi d’un ordinateur uniquement pour la dextérité et la rapidité de celui-ci à créer ou à déformer des sons, mais dans d’autres cas, le passage par l’ordinateur d’un poème sonore laissera des traces spécifiques fortement connotées. Les logiciels actuels offrent non seulement la possibilité d’enregistrement mais aussi la manipulation du son. Il y a quarante ans seulement, l’ordinateur n’était qu’une lueur pour l’artiste, et tout particulièrement pour l’homme littéraire, non pas une lueur d’espoir mais une lueur électronique dans la petite lucarne tant décriée. Il représentait l’inconnu d’une étendue immense parsemée de grains de transistors et de racines mathématiques, enfermée dans une boîte magique.

 

L’ordinateur avec ses logiciels actuels dépasse de très loin les savoirs faires des ma­gné­tophones. Il est l’outil le plus perfectionné pour créer des poèmes sonores. Non seule­ment il est capable de produire presque tous les effets sonores cités jusqu’ici, mais avec de la programmation il ouvre une dimension supplémentaire. Par les possibilités combinatoires, par l’intervention du hasard et par l’interaction du lecteur-spectateur le poème sonore devient dynamique : à chaque présentation l’œuvre donne l’impression qu’elle est la même tout en étant différente.

 

 

A. G. – Pour conclure, voyez-vous une raison de séparer la création poétique par ordinateur de celle de l’écriture sur papier ? Est-il justifié d’affirmer que la poésie n’est que sur la page?

 

T. P. – En aucun cas je ne peux imaginer une séparation entre une œuvre poétique créé sur ordinateur et une œuvre poétique couchée sur papier (ou n’import quel autre support rigide). La poésie, pour moi, est une affaire de forme et de l’investissement humain, mais cette forme et cet investissement sont indépendant du support. Ce n’est pas en rapport avec la poésie classique (sonnets, alexandrins et compagnie) que les œuvres dynamiques créées sur ordinateur devront être jauger, juger, analyser. Pourquoi un poème visuel statique devrait être considérer poétiquement différent selon qu’il est réalisé sur papier ou sur écran ? .

 

Pour aller vers un mode non plus technique mais philosophique, je voudrais rappeler que Heidegger, en parlant de l’essence de la poésie à propos de Hölderlin, avance l’idée que la «poésie a l’air d’un jeu et pourtant elle n’en est pas un. Le jeu rassemble bien des humains, mais de telle sorte que chacun s’y oublie précisément soi-même. Dans la poésie au contraire, l’homme est concentré sur le fond de son être-là.» [5] La concentration sur le fond de son être-là suggère une présence quasi physique du poète dans son œuvre qui semble être éclairée par l’incomparable souverenté du moi, une émanation de la spécificité de l’expres­sion, celle qui émerge du temps, celle qui avec ses imperfections devient le ressort de l’infini. Cette présence, cet être là se concrétise dans la réalisation d’une œuvre poétique qui n’est comparable à aucun autre. La condition de cette exclusivité de l’expression est l’engagement littéraire du poète impliquant une volonté de marquer sa présence au sein même de la litté­rature. Cette présence est une voix unique ; elle se fait entendre exclusivement à partir de la littérature, elle est influencée par la forme de l’œuvre, par le rapport avec d’autres œuvres poétiques, par la langue, par le temps, par l’époque, par la situation géographique, par la situation sociale etc´. A partir de l’état de la littérature, le poète met en évidence l’époque quand il veut se mouvoir dans un intervalle humainement palpable, il privilégie le lieu quand c’est le «hic et nunc» qui l’intéresse avant tout, il fait appel à la langue quand il veut déréglér ses normes, ses tabous, ses formes, il s’attaque à l’état de la littérature quand personne n’attend sa secousse, il conteste ou approuve le rôle social de la littérature quand sa négation ou appro­bation aumente la force des mots, il attaque la forme poétique quand la grisaille créée par les inlassables répétitions devient insupportable, il réhabilite ou rebâtit ses contraintes en créant des formes nouvelles. Il en va de même pour les auteurs de la poésie sonore, visuelle ou dynamique sur ordinateur.

 

Tibor PAPP

 

 

 

[1] Jacques Mehler, Thomas G. Bever et Peter Carey :  « Que regardons nous quand nous lisons ? » in textes pour une psycholinguistique, ed. Mouton 1974, p. 279.

[2] Communication aux Journées « Écrivain-ordinateur  », juin 1977.

[3] La fabrication mécanique de textes poétics n’était pas un procédé totalement inconnu ; rappelons-nous le célèbre poème combinatoire de l’écrivain allemand Quirinius Kuhlmann : le 43e baiser d’amour, publié en 1671, et plus près de nous, les Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau, publiés en 1961. (Ni l’un, ni l’autre n’ont eu recours à l’ordinateur)

[4] Une poésie de l’espace, Paul Zumthor in Poésies sonores. Éd. Contrchamps, 1992, p. 5)

[5] Martin Heidegger, Approche de Hölderlin, Gallimard, 1962, p. 57)

 

 


 

 

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