<REVISTA TEXTO DIGITAL>
ISSN 1807-9288
- ano 4 n.2 2007 –
http://www.textodigital.ufsc.br/
Entrevista com Jean-Pierre Balpe
Entrevistador: Cristiano de Sales
Jean-Pierre Balpe est directeur du laboratoire Paragraphe et du département de hypermédias de l'Université Paris 8. Il est aussi secrétaire général de la revue Action Poétique. Il s´intéresse aux possibilités d´intervention des outils informatiques dans la création littéraire depuis les années 1970, moment où il avait déjà publié plusieurs poèmes et nouvelles dans des périodiques imprimés. En 1981, il aide à la fondation de l´ Atelier de littérature assistée par la mathématique et les ordinateurs (ALAMO). Actuellement, il travaille, entre autres, avec des générateurs automatiques de textes et il a mis en ligne un roman génératif. Jean-Pierre Balpe est sans aucun doute une importante référence pour les chercheurs et les artistes de la littérature numérique dans le monde.
Texto Digital - Dans une conférence au Colloque de Cerisy (2004), vous avez parlé de la double fonction de l'écrivain de la littérature numérique, car outre la création, celui-ci serait le théoricien de sa propre écriture. Serait-ce cela le chemin pour la construction d'un champ épistémologique propre à la littérature numérique ou cela n'est pas une question pour l'artiste?
Jean-Pierre Balpe - Ce que je disais c’est que lorsque l’écrivain informatique programme son écriture (ce qui est au moins partiellement nécessaire pour la plupart d’entre eux mais qui l’est totalement lorsqu’il travaille sur la génération automatique) il doit concevoir un modèle abstrait de celle-ci, or il ne peut construire un tel modèle sans analyse et théorisation du texte. Toute écriture, quelle qu’elle soit, implique une théorisation de l’écriture ; cependant cette théorisation est le plus souvent implicite (un écrivain écrit selon la théorie d’écriture en vigueur à son époque) ; dans le cas de l’écrivain informatique elle doit être explicite sinon il ne peut programmer. Ce qui ne veut pas dire qu’il va rendre cette théorie publique, simplement il doit être conscient de ce qu’il fait pour le transcrire en programme.
Il y a sûrement là possibilité d’un champ critique épistémologique mais celui-ci n’est pas obligatoirement une question pour l’artiste car, au-delà de ce qu’il fait, de ce qu’il programme, restent des questions qu’il n’est pas obligé de se poser pour produire comme : d’où vient ce désir de travailler une programmation de l’œuvre, quel rapport y a-t-il entre ce désir et l’œuvre, etc.
TD - Vous avez également parlé de la littérature comme un champ immatériel évoqué par des dispositifs matériels (les objets littéraires), en mettant en relief la grande transformation que la littérature numérique provoquerait dans ce rapport entre matérialité et immatérialité. Si l'on considère l'expérience de la lecture esthétique comme un phénomène où la matérialité (des textes et d'autres objets) inaugure des langages et des mouvements perçus par un corps récepteur coexistant avec cette matérialité, on pourrait encore penser à cette transformation du rapport entre matériel/immatériel dont vous avez parlé?
J-P B - La littérature en tant que telle est un immatériel qui se matérialise sur divers média (la voix, le mur, le rouleau, le papier, l’écran, etc. Les média dominants de l’e-littérature sont l’écran et le son, souvent les deux en même temps. Bien entendu cela ouvre sur quantité de langages qui jusque là n’entraient pas en jeu. C’est ce que mettent en scène les installations. Dès que vous modifiez le médium de diffusion vous modifiez les corps qui le reçoivent : lire sur un écran de 400 mètres carrés n’est pas lire sur une page, le corps peut-être un élément (un événement ?) complètement immergé dans le texte lui-même qu’il lit, à la fois dans l’espace du texte et dans les sons du texte. On peut ainsi imaginer des œuvres englobantes ou des œuvres créant divers degrés de distance.
TD - Si l'on croit que l'acte de lecture instaure une construction spatio-temporelle chez le lecteur, comment l'ordinateur reconfigure-t-il cet entrelacement espace-temps par rapport à d'autres moyens qui produisent la littérature?
J-P B - De multiples façons puisque l’inscription d’un programme implique une temporalité et une spatialisation propres d’où toute une série de question qui se posent à l’e-écrivain et qui conditionnent son travail. Utiliser n’importe lequel des espaces proposés par le numérique n’est jamais neutre. Ainsi l’espace des blogs leur est propre, celui des installations est à concevoir, le rapport aux écrans est signifiant, etc. Choisir l’espace d’une ville entière comme surface de lecture est très différent de se publier sur ebook. Tout cela joue sur le texte et la conception du texte. De même le temps de lecture n’est qu’une autre des données programmable de l’écriture numérique. Pour le média livre, tout est simple, l’espace de lecture est pratiquement pré-déterminé et s’il conditionne un peu le temps de lecture, ce n’est qu’à la marge car le temps de le lecture est à la discrétion du lecteur. Rien de tel dans l’écriture numérique : le-écrivain peut (ou non) imposer des rythmes et des temps de lecture et faire exploser l’espace de cette lecture. Il travaille ainsi sur l’espace et le temps, ce qui n’est ni possible ni réalisé lorsque le médium est le livre.
TD - Quand on parle de littérature, de poésie, de création littéraire, voire de d'autres manifestations artistiques tels la musique et le cinéma, on revendique, entre autres, une définition de la poétique que tel objet ou telle oeuvre essaient d'instaurer. Pourrions-nous penser à une poétique de la littérature numérique ou chaque oeuvre particulière fonde la sienne?
J-P B - Je ne crois pas que ce soit si simple : il y a une poétique particulière à l’ensemble littérature numérique mais qui s’inscrit dans une poétique générale. Par exemple, quelles sont les limites du littéraire ? Autrement dit, je pense qu’il doit être possible d’établir une poétique générale qui rende compte de toutes les applications littéraires particulières, y compris de la e-littérature. Sinon, quel serait l’intérêt de la poétique ?
TD - Quels sont les projets d'intervention artistique-numérique dont vous vous occupez et qui vous intéressent actuellement?
J-P B - Une installation en cours avec le plasticien Miguel Chevalier sur la génération automatique d’un herbier numérique, une performance à Linz en avril 2009 autour de mon générateur Babel-poésie, une soirée performance prévue à la Maison de la Poésie de Paris pour le 9 mai 2009 et tout le travail que je mène sur les nombreux blogs qui constituent l’hyperfiction « La disparition du Général Proust ». Pour tout cela je continue à améliorer et réfléchir sur la génération automatique de textes littéraires.
TD - Les textes littéraires générés aléatoirement par des logiciels évoquent outre un autre exercice d'écriture, un autre exercice de lecture. Pourriez-vous nous détailler un peu plus ce différent exercice qui semble fusionner lecture et écriture?
J-P B - Pourquoi « aléatoirement » ? L’aléatoire peut ne jouer qu’un rôle très marginal dans la génération automatique… Ce qu’amène à lire la génération de textes, ce sont d’abord, dans un premier temps, les textes, puis dans un second temps la question des textes eux-mêmes : en quoi différent-ils les uns des autres, comment mon rapport de lecteur se modifie-t-il devant l’infinité de textes que je devine possible, comment ce texte x… se situe-t-il dans cette infinité, d’où qu’est-ce que LE texte et à quoi sert-il… on en arrive vite à essayer de percevoir le modèle qui rend tout cela possible. Mais la lecture reste la lecture et l’écriture, l’écriture. Ce n’est pas parce qu’il perçoit la modélisation des textes que le lecteur écrit car il y a toujours une autre modélisation possible — ce que l’e-écrivain perçoit — et qui peut mener vers d’autres textes encore que le lecteur ne perçoit pas nécessairement.
Entrevista por Cristiano de Sales
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