<REVISTA TEXTO DIGITAL>

ISSN 1807-9288

- ano 2 n.3 2006 –

http://www.textodigital.ufsc.br/


BOOTZ, P. Fonctions de l'interface semiotique d'une œuvre litteraire numerique. Texto Digital, Florianópolis, ano 2, n. 2, Dezembro 2006.

 

 

FONCTIONS DE L’INTERFACE SEMIOTIQUE D’UNE ŒUVRE LITTERAIRE NUMERIQUE

FUNCTIONS OF SEMIOTIC INTERFACE OF A DIGITAL LITERARY WORK

 

 

Philippe Bootz

Laboratoire Paragraphe, Université Paris 8

philippe.bootz@univ-paris8.fr

 

 

RÉSUMÉ: L’article analyse la notion d’interface sémiotique sur quelques œuvres littéraires numériques emblématiques. Celle-ci se dévoile comme lieu de transaction entre le dispositif technique et les représentations mentales que s’en font l’auteur et le lecteur. On montrera que l’interface sémiotique est une frontière qui assure un passage continu entre le contexte et l’œuvre à l’écran (le transitoire observable). On montrera également que les interfaces se distinguent, d’un point de vue sémiotique, en deux grandes clases : l’une dite « fermée » car elle constitue une gestalt et une autre dite « ouverte » et pour laquelle interface et contenu sont imbriqués.  Ayant replacé l’analyse dans le cadre du modèle procédural dont les principaux résultats sont succinctement rappelés, notamment le rôle qu’y joue le concept central de profondeur de dispositif, l’article introduit le concept d’interface interne définie comme la manifestation au sein de l’œuvre de la profondeur de dispositif des co-auteurs. On montre alors que toutes les œuvres des années 1980-1990 ont utilisé une même stratégie de gestion de la lecture à partir de cette interface, stratégie que l’article explicite et dénomme « déroulement spiral du Lecteur Modèle ». Puis quelques figures de rhétoriques classiques en littérature numérique sont mises en relation avec la notion d’interface interne.

 

MOTS-CLÉ: modèle procédural, interface, profondeur de dispositif.

 

ABSTRACT: The paper analyses the concept of semiotic interface through the analysis of some emblematic digital literary works. The semiotic interface is revealed as place for transaction between the technical device and author’s and reader’s mind representation of it. One will show that semiotic interface is a border that makes a continuous passage  between the context and the work at screen (the observable transient). One will also show that interfaces can be put together in two classes : the “closed” interface class in which an interface is a gestalt and the “open” interface class in which interface and content overlap. After this, one analyses the concept of interface inside the procedural model. First, principle results of this model are reminded, notably the main concept of “profondeur de dispositif” (system depth). The paper proposes to define the concept of internal interface as the demonstration of the system depth of the co-authors. One shows than that works in the 80’s and 90’s have used the same strategy to manage reading. This strategy is analysed and named “déroulement spiral du Lecteur Modèle” (spiral unwinding of the Model Reader). Finally, some classical tropes in digital literature are made contact with the concept of internal interface

KEYWORDS: Procedural model, Interface, Depth of device.

 

  

1  INTRODUCTION

La définition intuitive, purement fonctionnelle, que l’on peut donner de la notion d’interface sémiotique (graphique le plus souvent) se heurte au fonctionnement des œuvres littéraires informatiques. Nous allons montrer que le principe de séparation entre traits interfaciques et traits non interfaciques, conséquence de cette définition, n’est pas vérifié dans les interfaces internes aux œuvres littéraires informatiques. Nous proposons alors, pour résoudre ce problème, d’aborder la question de l’interface interne dans le cadre du modèle procédural qui a été élaboré pour l’étude des œuvres. Elle y apparaîtra, non comme relation fonctionnelle entre le dispositif et un sujet, mais comme relation du dispositif à une représentation mentale, lieu de transactions entre un fonctionnement et une conception. Cette approche nous amènera à redéfinir l’interface interne uniquement à partir de concepts élaborés au sein du modèle.

Chemin faisant, nous montrerons que les interfaces s’articulent en deux groupes qui établissent des relations contraires dans leur rapport au contenu. Le premier est celui des interfaces « fermées » qui se distinguent visuellement clairement du contenu interfacé. Nous verrons que, même dans ce cas, l’interface est une structure sémiotique feuilletée qui permet le passage sémiotique progressif du système d’exploitation à l’œuvre. Le second est celui des interfaces « ouvertes ». Celles-ci sont constituées d’un certain nombre de caractères sémiotiques visuels qui s’ajoutent à des éléments considérés comme faisant partie du contenu. Dans ces interfaces, le contenu interfacé et l’interface utilisent le même espace visuel. Dans tous les cas, nous caractériserons une interface visuelle par un ensemble de caractéristiques visuelles qui seront dénommées des traits interfaciques.

Nous utiliserons systématiquement le raccourci « interface » en lieu et place de l’expression « interface sémiotique ».

2  L’INTERFACE COMME ŒUVRE

2.1  Analyse de la notion d’interface

Considérons l’« l’interface d’une œuvre » comme une interface utilisateur particulière. Le dictionnaire Hachette donne comme définition de l’interface utilisateur « ensemble des moyens de dialogue entre l’utilisateur et l’ordinateur regroupant l’usage des commandes ». Cette définition conduit à une définition de l’interface de l’œuvre en changeant le mot « ordinateur » par le mot « œuvre ». 

L’interface serait alors le « lieu », nécessairement perçu par le lecteur, de médiation d’une œuvre qui, elle, pourrait être une non-interface. La dichotomie interface/non-interface semble ainsi recouvrir celle de « paratexte » versus « texte ». Dans ce cas, interface et non-interface doivent être clairement disjointes, leurs propriétés et comportements clairement identifiables et séparables à la lecture. L’interface doit alors posséder, tout comme l’œuvre, une existence propre repérable par un jeu de transpositions : l’œuvre peut pouvoir être transposée dans des interfaces différentes et une même interface doit pouvoir interfacer des oeuvres différentes qui utilisent les même commandes.

Il doit notamment exister une interface minimale donnant accès à l’œuvre, celle-ci pouvant être réduite au « bureau », cette interface graphique entre les programmes et le système d’exploitation. Examinons comment fonctionne le lancement direct d’une œuvre littéraire informatique.

L’analyse des œuvres à partir des manifestations observables à la lecture a permis de dégager, dès 1993, trois formes fondamentales « de surface » dont les archétypes orientent la perception mais qui ne constituent pas des catégories étanches. Commençons par observer le lancement depuis le bureau d’un exemple représentatif de chaque  forme de surface.

2.2  Mise en évidence de la notion « d’interface interne » par observation d’œuvres « classiques ».

2.2.1  Afternoon a Story, Michael Joyce, Eastgate System, 1987

Cette œuvre est le plus ancien hypertexte de fiction. Elle constitue l’archétype de l’hypertexte narratif qui repose largement sur les conceptions de Ted Nelson : la structure est pensée en termes de nœuds constitués de pages écran statiques et de liens qui définissent des passerelles intemporelles, instantanées et non spatialisées entre ces nœuds.

Figure 1 : capture-écran d’afternoon a story

Observons l’opération de lancement de l’exécution :

- Le visuel de l’œuvre comporte en elle-même une interface utilisateur (les fenêtres emboîtées). On peut la définir comme « l’interface interne de l’œuvre » car elle ne peut être dissociée de l’œuvre.

- Le visuel présente une séparation nette entre le texte et cette interface positionnée comme paratextuelle et même péritextuelle[1].

- On perçoit à l’écran trois niveaux interfaciels : un premier créé par le concepteur du système d’exploitation, un second par celui du logiciel utilisé, storyspace (pourvu lui-même de deux sous-niveaux : la fenêtre du logiciel et celle du document), un autre, semble-t-il, par l’auteur. Ces trois niveaux apparaissent successivement à l’écran. Notamment, le démarrage de l’exécution est totalement interfacé par le système d’exploitation. L’interface interne ne démarre qu’après le début de l’exécution du programme. Elle fait donc intervenir le concepteur du logiciel et l’auteur.

- Les spécificités de l’hypertexte, liées à la notion de lien sont gérées au niveau de l’interface et ne sont pas visibles dans le texte du nœud. La déspatialisation du lien est tellement forte que les ancres (points d’ancrage d’un lien dans le nœud source) ne sont même pas marquées et que tout élément d’un nœud, mot ou fond, joue un rôle d’ancre.

2.2.2  Un roman inachevé. Jean-Pierre Balpe, inédit, 1994

Cette œuvre est caractéristique de la forme de surface des littératures informatiques algorithmiques des années 1980-1990. Celles-ci utilisent un algorithme combinatoire ou automatique pour produire des textes qui sont ensuite affichés sous forme de pages-écran. Le lecteur n’est pas un navigateur mais un initiateur de l’exécution des algorithmes de génération. Cette forme nie toute littérarité aux algorithmes d’affichage. Elle ne considère comme pertinents que les algorithmes producteurs de données internes : les algorithmes génératifs. Un roman inachevé est un générateur automatique.

Figure 2 : Un Roman inachevé, phase de calcul et écran de sortie.

Observons le lancement de l’exécution de l’œuvre. Celui-ci présente de grandes analogies avec l’exemple précédent.

-          On constate que l’œuvre possède une interface interne.

-          Le visuel présente une séparation nette entre le texte et cette interface paratextuelle délimitant une fenêtre.

-          L’interface interne gère les particularités du générateur liées à la notion de calcul. Deux boutons marquent les opérations réalisables : générer et quitter. Mais lorsque le lecteur effectue une génération, Le caractère temporel du calcul est marqué par une roue. Ce marquage est dû au système d’exploitation. Constitue-t-il un trait interfacique ?

-          Le concepteur du logiciel prend la main sur le système et sur l’œuvre. Cette prise de contrôle apparente s’observe à travers plusieurs indices : la disparition de la barre des menus du bureau au lancement, l’indication « base » comme titre de la page de sortie, ce terme étant un terme technique du langage de programmation utilisé (hypercard). En revanche le protocole permettant de quitter l’œuvre, l’appui simultané sur les touches « pomme » + « Q », est géré par le système d’exploitation ce qui rappelle que la conception affichée, celle de la prise en main du système par le logiciel, ne correspond pas à la réalité du fonctionnement. Les manifestations de cette prise en main font-elles toutes partie de l’interface ?

Prenons le temps de nous arrêter sur cette question en nous éloignant momentanément de l’exemple si besoin est. 

Si on accepte volontiers le fait que le titre « base » est une composante visuelle de l’interface, on peut constater que les processus de prise en main se traduisent par une absence et non une présence d’objets graphiques, à savoir la disparition de la barre des menus et l’absence de marquage graphique d’un processus de sortie de l’œuvre. Si on réfute le caractère interfacique de ces « absences », alors l’interface interne ne contient pas « l’ensemble des moyens de dialogue entre l’œuvre et l’utilisateur ». Si on l’accepte, alors l’ensemble des moyens regroupe des objets doués de comportements de type interrupteur, c’est le cas des boutons « générer » et « quitter », et des processus opératoires non marqués (absence) ou marqués en négatif (disparition). Si on intègre les processus eux-même dans l’interface, alors la conception de l’interface échappe à l’esthétique au profit de l’opérationnalité[2]. Si on n’intègre que les caractéristiques du marquage (présence, absence, ajout, retrait), alors on délaisse les propriétés d’opérationnalité pour préserver une définition perceptive de l’interface. En effet, l’opérationnalité d’une marque absente comme celle de l’appui sur « pomme + q » repose sur un savoir marqué par le contexte esthétique global qui permet de reconnaître le monde MAC. Un tel marquage contextuel global peut aisément s’observer dans des situations non littéraires. Par exemple, l’utilisation d’un logiciel comme Virtual PC instaure une opérationnalité de type PC au sein d’un MAC. Or ces deux modes opératoires sont restées longtemps largement incompatibles. Par exemple, un certain nombre de fonctionnalités non marquées du monde PC sont accessibles par l’usage contextuel du bouton droit de la souris. Or la souris du Macintosh ne comporte qu’un bouton. Ces logiciels sont alors tenus d’émuler le bouton manquant. Virtual PC le fait en le remplaçant par une touche particulière du clavier. L’opérationnalité de cette touche est bien marquée par une absence contextualisée de marque graphique. En effet, la marque d’opérationnalité du bouton droit n’apparaît jamais sur un PC, et ce n’est que l’interfaçage logiciel entre Virtual PC et le MAC, au lancement du logiciel, qui contextualise dans le monde MAC cette absence de marque. On peut même aller plus loin et remarquer que lorsque le logiciel est installé, la contextualisation de l’absence pour un nouvel utilisateur repose sur le marquage matériel qui différentie un PC d’un MAC. Ainsi, la définition donnée en introduction semble nous mener très loin, jusqu’à sortir totalement de l’œuvre et du logiciel pour rejoindre le matériel.

-          Pour en revenir à l’œuvre analysée, les questions posées dévoilent une intrusion de l’extérieur de l’œuvre au sein de l’œuvre, notamment celle du système d’exploitation. Cette intrusion n’est pas liée à une volonté d’auteur ni, toujours, à des commandes. Elle marque pourtant une interaction, qui concerne le lecteur, entre l’œuvre et le système. Cette interaction contraint fortement l’opérationnalité. Par exemple, la fonction « quitter » n’est pas accessible durant la durée du calcul, qui peut dans certains cas être longue sur une machine très lente. Les caractéristiques des objets graphiques de l’interface, indépendamment de la volonté de l’auteur, ne sont pas purement spatiaux mais également temporels. Cette temporalité imposée à l’œuvre par le dispositif technique marque un écart entre le fonctionnement de l’œuvre et la conception algorithmique des auteurs qui repose sur des opérations logiques et non des processus. Notons que la créativité des auteurs a utilisé dans certains cas cette contrainte pour induire des phénomènes observables porteurs de signification durant cette phase, détournant une contrainte contraire à l’orthodoxie de la conception en une stratégie d’écriture au service de la démarche. C’est le cas dans l’exemple proposé qui utilise cette durée pour mettre en évidence des bribes du protocole algorithmique de génération, accentuant pour le lecteur la distance entre le texte généré et l’algorithme génératif. Cette distanciation est un caractère nécessaire de la position du lecteur dans la conception de J.P. Balpe sur laquelle nous reviendrons ci-dessous. Notons que le marquage de la durée par le système d’exploitation ne revêt pas un caractère fonctionnel technique mais une projection du concepteur sur l’utilisateur. Il sous-entend que l’utilisateur est en état d’observation et avide d’instantanéité, qu’il risque de se trouver perdu en absence du marquage de la durée. La conception de cet utilisateur impatient et incapable de percevoir par lui-même un fait technique n’est pas neutre. On peut toutefois remarquer qu’il ne correspond pas au fonctionnement d’un utilisateur avisé. Notamment, ce type de marquage est inexistant au démarrage de la machine, au moment où le système d’exploitation n’a pas encore pris la main, ce qui ne perturbe pas outre mesure l’utilisateur bien que l’attente puisse être longue, notamment sur un ordinateur portable. Dans certains logiciels, le marquage de la durée est faux et ne tient pas compte de l’ensemble des processus. C’est le cas dans certaines procédures d’installation ou dans le fonctionnement de logiciels de gravure comme Néro. Là non plus, un utilisateur avisé n’est pas perturbé car il reconnaît l’état de fonctionnement de sa machine à d’autres indices, notamment sonores. Un utilisateur régulier peut même déceler un « plantage » quelques secondes avant celui-ci et prévoir à quel moment et pour quel type d’action celui-ci va se réaliser. Le marquage de la durée est certes un confort, mais il est toujours erroné et n’est pas un acte opérationnel. En revanche, il dévoile des caractéristiques de la conception du système global de communication par des acteurs techniques.

2.2.3  A bribes abattues, Philippe Bootz, KAOS n° 1, 1990

Cette œuvre constitue un exemple d’animation syntaxique. La littérature animée introduit la temporalité à l’intérieur de l’écrit et se préoccupe plus des processus d’affichage que des algorithmes génératifs.

L’observation du lancement de l’exécution montre que

-          La séparation est nette entre texte et interface paratextuelle.

-          L’interface serait également temporelle et non seulement spatiale. Elle semble n’exister que dans la phase de choix préalable à l’animation, le lecteur restant simple spectateur et non spect-acteur durant l’animation.

-          Il ne semble pas y avoir d’interface externe mais les caractéristiques du système d’exploitation DOS transparaissent dans l’interface et l’œuvre. Notamment par l’affichage plein écran et l’esthétique du pixel qui se dégage des processus d’affichage. Ces traits sont-ils à porter au compte de l’interface au titre de l’absence ? La réponse à cette question semble être négative au regard du seul exemple. Néanmoins, certains textes animés ne peuvent être réinitialisés et leur lancement par le lecteur est déjà une information détectée et prise en compte par le programme[3] : l’interaction entre le lecteur et l’œuvre débute au lancement, elle n’est pas une propriété ajoutée dans un après-coup. On retrouve dans cette gestion de l’interaction une dominante temporelle très forte, accentuée, justement, par l’absence de marquage spatial.

Figure 3 : A bribes abattues : interface initiale et cours de l’animation.

2.2.4  Conclusions de ces premières observations.

-          La présence d’une interface interne paratextuelle semble vérifiée dans tous les cas. Cette interface est également péritextuelle. Ces caractéristiques spatiales définissent une interface « fermée » clairement distincte du contenu interfacé.

-          La conception de l’interface comme « ensemble des commandes » crée une continuité entre l’intérieur et l’extérieur de l’œuvre. Le lecteur passe progressivement dans le temps et l’espace de cette interface paratextuelle à l’œuvre.

-          Cette zone frontière est partagée entre les concepteurs du système d’exploitation, du logiciel de programmation ou de création, de l’œuvre. 

-          Où commence l’interface ? Des questions subsistent sur la nature des caractéristiques esthétiques de l’interface car l’œuvre est constamment contextualisée par le logiciel de programmation et le système d’exploitation. Des questions subsistent également sur la compatibilité entre caractéristiques esthétiques qui dénotent des conceptions d’acteurs et des prises de décision et l’opérationnalité qui s’inscrit dans un fonctionnement technique.

2.3  L’inversion interfacique dans les oeuvres « dissidentes » : poétique de l’interface.

La définition proposée en introduction, liée au caractère fonctionnel des commandes, ne rend aucunement compte du jeu des stratégies énonciatives qui sous-tendent les choix esthétiques des concepteurs d’interfaces. Le caractère paratextuel de l’interface semble partagé  et moins problématique au regard de la définition adoptée. L’interface se situerait bien alors dans un domaine esthétique. Nous allons pourtant montrer que certaines œuvres mettent en cause ce caractère « générique ». Elles retournent comme une chaussette le rapport entre œuvre et interface en inversant les caractéristiques textuelles/paratextuelles : « l’interface devient l’œuvre » pour reprendre l’énoncé contenu dans le titre de l’œuvre de Jean-Marie Dutey interface is message. Nous montrerons que cette remise en cause se fait selon des stratégies parfaitement définies et totalement caractérisées par une décision politique : déplacer la conception du lecteur et énoncer ce déplacement au lecteur physique. D’un point de vue psychologique, ce déplacement va se manifester par une ambiguïté de l’archétype à utiliser pour appréhender ces œuvres. Cette relation entre l’ambiguïté archétypale et le déplacement d’une position supposée d’acteur a été remarquée dans des situations de communication par des œuvres non informatiques[4].

2.3.1  Les générateurs « pavloviens » de Petchanatz : Cut-Up, alire 6, 1992.

Christophe Petchanatz inverse les caractéristiques énoncées des œuvres algorithmiques. Il retient du générateur son caractère productif de textes de surface, productivité qu’il porte au paroxysme L’œuvre énonce le processus de génération et ausculte les états générés qui forment pourtant, traditionnellement, le texte. Cet énoncé est réalisé par une génération continue. Le texte ainsi produit défile à grande vitesse à l’écran et demeure illisible. Le lecteur est invité, par une annotation paratextuelle de l’interface, elle stable, à stopper la génération pour lire.

Figure 4 : capture-écran de Cut-Up.

-          La conception mise en avant s’oppose à la conception balpienne. Le lecteur est invité à lire le processus d’engendrement dans sa réalité physique et non algorithmique. Cet énoncé se fait au détriment du produit de l’exécution qui devient anodin et perd sa cohérence de texte. Son illisibilité énonce le processus. Ce texte ne peut, dans le meilleur des cas, qu’apparaître fragment.

Cette fragmentation est consciente dans la conception balpienne, mais celle-ci lui attribue un pouvoir de réorganisation en un énoncé à partir des cohérences locales décelées dans les fragments et construites par l’algorithme génératif. Cette conception rapproche la lecture du texte généré de celle du montage hypertextuel. Elle ne peut s’appliquer que si l’auteur de l’algorithme gère la taille des fragments et surtout leur découpage. C’est à cette condition qu’il peut instaurer une cohérence locale. Cette mise en forme est impossible dans le générateur « de Pavlov » qui nie, à la manière d’un cut-up paroxysmique, la « pertinence littéraire » du texte : le texte conçu comme ensemble de phrases ne forme plus un texte conçu comme unité littéraire porteur de littérarité. La littérarité semble reportée sur le processus d’engendrement[5]. Dans cette conception, l’interface qui gère le fonctionnement du processus de calcul devient une composante textuelle fondamentale parce que son opérationnalité est justement de l’ordre du processus et qu’elle concerne plus précisément le processus d’engendrement permanent des phrases, et parce que sa stabilité graphique, comparée à la mouvance des phrases générées, énonce la stabilité du processus cyclique lui-même, cette stabilité étant la cause même du caractère transitoire des phrases générées. Le produit textuel généré devient le paratexte marquant le fonctionnement du processus, un prétexte.

-          La gestion algorithmique de cette composante est déléguée au système d’exploitation. L’auteur ne gère donc que « l’interface de l’interface » puisque l’interface interne qu’il crée est vide de commandes. Elle renvoie sur l’interface externe créée par le concepteur du système d’exploitation DOS. L’opérationnalité de cette interface est donc vidée de sa substance. En effet, même si l’auteur avait conçu un visuel sans aucune information sur le mode de stabilisation de ce visuel, s’il avait donc réalisé un marquage interfacique « par absence » de marque visuelle, comme nous en avons noté plus haut, le lecteur, par habitude des usages DOS, aurait de lui-même trouvé le protocole de stabilisation à l’aide de la touche [pause]. L’usage de la combinaison [ctrl + pause] nécessite une connaissance des raccourcis offerts par le langage de  programmation mais le marquage « par absence » aurait alors constitué un « piège à lecteurs » du type de ceux de Jean-Marie Dutey que nous examinerons ci-dessous. Cette remarque conforte l’idée exprimée plus haut que le marquage est ici l’énoncé du renversement de signification entre processus génératif et produit généré.

-          L’œuvre crée une confusion entre animation et génération. Elle ne peut être cataloguée par un archétype unique de forme de surface.

-          L’interface exprime non seulement un renversement signifiant entre le faire et le fait, renversement qui implique l’aspect fonctionnel technique du dispositif, mais elle exprime également un déplacement de la conception du lecteur relativement à la conception balpienne. Dans la conception balpienne, le lecteur demeure dans la position classique d’un constructeur cognitif garant d’une clôture cohérente du texte généré. Jean-Pierre Balpe indique d’ailleurs que le lecteur doit accepter de « construire par ses actes un sous-ensemble particulier d’un roman général »[6]. Alors que la position du lecteur dans les générateurs de « Pavlov » est celle d’un perturbateur. Il interrompt le processus au lieu de l’initialiser. En cela, la page-écran apparaît clairement dans son caractère transitoire et perturbateur d’un processus qui se suffit à lui-même et peut se passer d’action de lecture. Ce caractère perturbateur de l’acte de lecture est trop souvent négligé et méconnu dès lors qu’il est question d’interface. Le rôle du lecteur est souvent examiné comme une navigation dans un espace d’information. Ici il n’en est rien. Cette conception du lecteur-perturbateur est partagée par plusieurs auteurs et artistes depuis les années 80. Elle offre une alternative à l’esthétique de l’attente que l’on rencontre dans les hypertextes et dans bien des productions interactives. Elle gère l’interactivité dans sa dimension temporelle et non seulement dans une dimension spatiale. Celui qui a certainement le mieux exprimé cette conception est Éric Sérandour, lorsqu’il a déclaré qu’il concevait l’action du lecteur dans ses générateurs comme une perturbation initiale auquel le programme répondait par un retour à l’équilibre : « l’intervention du lecteur est reçue de la part du système comme un événement extérieur qui vient le déséquilibrer. Ce jeu de va-et-vient qui consiste à déséquilibrer un système et à l’observer dans sa phase de rééquilibrage exemplifie à mon sens une certaine conception de l’interactivité »[7]. En termes de physicien, on dirait que le programme réagit à la perturbation par un mécanisme transitoire de relaxation. Ce qui est interfacé dans cette conception n’est pas un espace d’information mais bien un espace de processus : l’information réside dans les processus et non plus seulement, ou essentiellement, dans leurs produits. Ces deux fonctionnalités : perturbation, navigation, sont ainsi complémentaires et ne concernent pas les mêmes espaces d’information dans le système. La navigation opère dans un espace symbolique d’informations, la perturbation dans l’espace physique du fonctionnement technique, par l’intermédiaire d’interruptions logicielles, et également dans l’espace symbolique esthétique des événements observables (modification du pointeur de la souris par exemple). Il est vraisemblable qu’avec l’avènement des normes qui considèrent l’image comme une organisation d’objets, telle la future norme MPEG 7, il faudra bien considérer la navigation comme un processus de perturbation / réarrangement producteur d’un déplacement informatif. La conception de la navigation selon Ted Nelson devra certainement être complexifiée. Cette relation entre commande fonctionnelle et navigation informationnelle semble en tous cas plus proches des conceptions objets introduites en informatique dans les années 90.

2.3.2  Les « pièges à lecteurs » de L.A.I.R.E.[8]  Les mots et les images, Jean-Marie Dutey, alire 5, 1991.

Le titre de cette œuvre est celui de l’œuvre de Magritte que la réalisation de Dutey interface et permet de parcourir selon des critères analytiques. Ce caractère didactique apparent cache en fait quelques particularités qui donnent à cette interface un statut d’œuvre et non de simple médiation d’un objet extérieur qui serait l’œuvre de Magritte. Il est à noter que cette réflexion sur le caractère idéologique, ou politique, sous-jacent à toute interface culturelle intervient trois ans avant le CDROM sur le Louvre qui inaugure dans le grand public l’erre du CDROM culturel.

Cette « interface » révèle en effet quelques caractères curieux, voire incompatibles avec la médiation. Le premier d’entre eux est certainement l’augmentation de la distance entre l’œuvre de Magritte et le lecteur. Ce dernier est confronté à une approche abstraite des concepts présents dans l’œuvre, répartie sur deux écrans successifs. Le premier écran énonce sous forme de matrice l’ensemble des concepts, le second l’ensemble des relations qui lient le concept retenu aux autres. Le lecteur est obligé de passer par ces deux étapes avant d’accéder à la réalité perceptive dans sa dimension d’image, de l’œuvre de Magritte. Sa lecture est donc fortement contrainte par un cadre conceptuel et est d’une durée exagérément longue par rapport au feuilletage du livre qui contient les planches. La distance est augmentée par l’impossibilité d’opérer une approche globale des planches de Magritte. Seule l’approche globale des concepts est présentée, et même imposée, mais il est impossible au lecteur d’avoir une vision globale des relations, ce qui limite le caractère didactique de la présentation, et surtout il lui est impossible de reconstituer l’ouvrage de Magritte en rassemblant les écrans des planches. Cela l’oblige à repasser souvent par les mêmes planches s’il veut parcourir toute l’œuvre. Enfin, alliée à ce manque d’opérationnalité dans la navigation, s’ajoute une opacité de l’interface. On se rend vite compte que la carte des liens n’obéit pas à une structuration schématique mais à une fantaisie graphique : absence de code des couleurs, fantaisie des marquages graphiques des liens. Enfin cette interface est apparemment non documentée : nul accès à une aide interne ou externe. Le lecteur est donc amené à découvrir par lui-même qu’il lui faut cliquer d’abord sur un mot, puis sur une couleur de la petite grille et enfin sur la planche elle-même pour passer à chaque étape à l’écran suivant. Ce caractère exploratoire, là encore, est contre-productif pour la médiation.

Figure 5 : les trois écrans de l’interface de Dutey : grille de concepts, de liens, planche de Magritte.

Le lecteur a cliqué sur la case « autre objet » de la première grille puis sur la couleur verte de la seconde.

Mais le plus surprenant demeure la présence de deux « fausses erreurs », d’ailleurs accessibles uniquement par les « coins » de l’interface qui se présentent visuellement comme para-interfaciels.

La première est le fonctionnement du mode d’emploi. Au cours de sa navigation, le lecteur finit par rencontrer une page-écran de présentation qui se présente comme un mode d’emploi. Celui-ci énonce les modalités de fonctionnement de l’interface que le lecteur a bien dû découvrir par lui-même pour arriver à cette page. En revanche il n’énonce pas la seule information utile qui manque encore : comment sortir de l’œuvre sans réinitialiser l’ordinateur[9], information que le « mode d’emploi » se garde bien de donner.

Figure 6 : grille contenant le faux bug et donnant accès au « mode d’emploi », planche « mode d’emploi ».

La seconde est la présence d’un faux bug. Un des liens relie une case vide de la grille conceptuelle à une case écrite. Rien ne se passe lorsque le lecteur clique sur la couleur de ce lien. Il peut alors être tenté de croire que l’interface est mal conçue parce qu’un mode opératoire attendu dans une interface hypertextuelle (je clique sur un lien donc je navigue) n’est pas satisfait. En réalité cette absence de navigation est imposée par la case vide reliée par ce lien car Magritte n’a fait aucune proposition dans son œuvre sur un « concept vide ». Le fonctionnement de l’interface est donc bien cohérent avec la logique de l’interface mais incohérent avec la représentation mentale standard de l’interface. C’est bien cet écart, et non principalement l’œuvre de Magritte, que « l’interface » de Dutey invite à lire. L’interface de Dutey énonce cet écart selon une modalité particulière, dite de « double lecture »[10], qui sera analysée ci-dessous.

On peut alors caractériser le fonctionnement de cette œuvre par les traits suivants.

-          Elle propose, relativement à un hypertexte classique, une inversion dans l’énonciation. L’auteur montre la carte des liens, le jeu des relations entre nœuds. L’œuvre de Magritte, qui en constitue les nœuds,  devient anecdotique, prétexte au fonctionnement de l’interface. Elle est en position paratextuelle.

-          L’interface obéit à sa propre logique et celle-ci n’est pas une logique de médiation mais d’une énonciation de conceptions du fonctionnement du système. Cet énoncé peut ne pas être perçu par le lecteur, l’interface ne pointe cet énoncé d’aucun trait rhétorique. C’est pourquoi on peut parler à son sujet de « piège à lecteurs ».

-          Elle incite à considérer la lecture comme une navigation entre processus et non une navigation entre nœuds d’information. Par la mise en évidence des liens et l’installation de la durée, c’est le processus de navigation lui-même qui est lu, ce qui rapproche cette œuvre d’une animation qui serait de type diaporama alors que sa structure visuelle rappelle l’hypertexte. Elle ne peut être décrite par un archétype unique de forme de surface.

-          L’interface semble distribuée sur toute la surface-temps observable de l’œuvre : le lecteur passe constamment d’une page-écran d’interface à une planche de Magritte dans son parcours. Il ne s’agit plus d’un ensemble de caractères péritextuels.

a)  L’hypertexte « syntaxique » de Jim Rosenberg : Diagrams series 5#1, alire 10/DOC(K)S, 1997.

Jim Rosenberg s’efforce depuis 1979 de porter la structure hypertextuelle à l’intérieur même de la phrase. Les œuvres informatiques qu’il produit dans cette tentative mélangent de façon intime des caractères interfaciques et d’autres qui ne le sont pas.

Figure 7 : écran initial et écran obtenu deux niveaux plus loin détaillant le nœud imbriqué dans le rectangle en bas à gauche de l’écran initial. Un collapse est visible du second écran.

L’interface semble ici distribuée sur l’ensemble de l’œuvre, mais ne peut plus, même en première approche, être considérée comme paratextuelle car elle s’insère dans la structure même du texte, texte qui ne sera jamais énoncé. L’interface apparaît comme l’énoncé, un énoncé qui ne constitue pas un état de langue final  mais un programme génératif de tels états que le lecteur est invité à actionner. La terminologie de « délégation d’énonciation »[11] que Pierre Barbosa utilise à propos de l’interface semble totalement adaptée. On pourrait considérer l’interface des diagrams comme « un énoncé qui délègue l’énonciation » insistant ainsi sur le rôle de passeur et non de médiateur que joue l’œuvre. Il ne s’agit pas de rapprocher un auteur et un lecteur par l’œuvre, mais bien d’assurer à travers elle la continuité d’un flux de langage qui passe nécessairement par la lecture tout comme il est passé par l’écriture. Cette posture du lecteur comme actualisateur d’un flux constitue la quatrième conception du lecteur que nous rencontrons. C’est encore à travers les caractéristiques interfaciques que s’énonce cette conception, ici plus spécialement par la distribution spatiale des traits interfaciques de commande et par l’absence de tout énoncé achevé des nœuds qui constitueraient les ensembles de phrases construites par application des règles énoncées graphiquement. L’hypertexte est ici aussi inversé, puisque c’est la structure de liens qui est donnée à la lecture et que ces liens sont « reliés par des nœuds » que le lecteur est invité à construire. L’hypertexte est également nié par l’impossibilité de mémorisation de ces nœuds complexes. Cette complexité interdit toute narration et toute construction sémantique fondée sur une cohérence de signification alors que la cohérence syntaxique est surénoncée. La lecture de l’œuvre s’apparente à une génération réalisée par le lecteur et non à un montage hypertextuel standard.

On peut porter sur cette surdétermination graphique un autre regard. L’interface obéit à sa propre logique, graphique, qui reflète la structure de la langue et non ses manifestations de surface. Les composantes graphiques de l’œuvre sont ainsi en situation syntagmatique alors que les collapses de phrases ou de mots sont en situation paradigmatique autour de ces composantes graphiques. La modalité de fonctionnement de l’interface reflète cette double structuration : on passe d’une zone à l’autre du syntagme par un effet de focalisation obtenu par un clic de souris, alors que les paradigmes se dévoilent et se recouvrent mutuellement par une transformation plastique visible/lisible activée par une approche de la souris. Par ce double jeu de transformations syntaxiques, le lecteur se trouve confronté à une tension entre une visibilité globale et une lisibilité qui ne peut être que locale, accentuant le rôle de la mémoire au point d’interdire, de fait, la lecture de l’hypertexte. Nous retrouvons de façon exemplaire cette « localisation » de la lecture dans l’espace d’information, que nous avons rencontré chez Petchanatz et Dutey dans la lecture de l’interface mais qui existe également au niveau de la lecture des  textes dans les exemples canoniques du début de l’exposé. Cette localisation interdit de fait la lecture classique, indépendamment de toute activité ergodique du lecteur. Sa présence au niveau de l’interface est à prendre comme un trait pertinent de l’inversion interfacique relevée dans les trois exemples qui nous occupent pour l’heure. Notons la subtilité avec laquelle Jim Rosenberg souligne la substitution paradigmatique : chaque paradigme peut bien être survolé séparément par la souris, mais un collapse paradigmatique donné ne peut l’être dans son ensemble puisque l’approche de la souris masque tous les paradigmes du collapse sauf un. Cette action du lecteur réalise la substitution. À chaque instant, l’action possible énonce un acte linguistique de lecture. Le lecteur ne peut échapper à son rôle de lecteur : l’inaction, qui dévoile la globalité de la structure ou du collapse, correspond à une position de voyeur et non de lecteur. L’identification des rôles de lect-acteur et de lecteur est ici fortement exprimée par la modalité de fonctionnement de l’interface. L’action et l’inaction semblent conçues par l’auteur comme des actes linguistiques. C’est bien une conception qui rejoint la plupart de celles exprimées dans les exemples précédents selon d’autres modalités[12].

Figure 8 : substitution paradigmatique opérée par la lect-acture.

La transformation visible/lisible apparente l’œuvre à une animation et la modalité de construction des phrases à une génération algorithmique. Bien que ces deux transformations soient déportées sur le lecteur et non le programme, on peut considérer que l’archétype de l’hypertexte ne suffit pas à lui seul à caractériser cette œuvre. La déportation des processus sur l’activité du lecteur peut être considérée comme la marque d’une interaction si forte entre le lecteur et le dispositif technique qu’il serait judicieux de concevoir, en termes fonctionnels,  ce lect-acteur comme un instrument  au sein du dispositif global, non séparable de ce dernier. Nous montrerons ci dessous qu’à travers la « double lecture » cette posture du lecteur physique est bien en œuvre dans certaines conditions précises.

2.3.3  Conclusions sur ces trois exemples.

En inversant les relations entre texte et paratexte, ces œuvres invitent à élargir la notion d’interface. Il ne peut plus être question de considérer celle-ci en termes uniquement fonctionnels de commandes, ou esthétiques de marqueurs, ni même sémiotiques par une distinction texte/paratexte. Les caractéristiques opérationnelles, spatiales et temporelles semblent constituer un ensemble de traits localisés ou répartis plus qu’un objet identifiable. « l’être » ne semble pas constituer une caractéristique fort pertinente de l’interface. Ces caractéristiques définissent une interface « ouverte ».

Plus qu’une médiation, l’ensemble des traits interfaciques semble constituer un énoncé de l’auteur sur les conceptions portées par l’œuvre, notamment celle du texte et celle de la position du lecteur.

Ces œuvres remettent en cause le fonctionnement des formes de surface. L’interface ne vise pas une médiation de l’œuvre mais une déstabilisation et une redéfinition de la lecture. Elle interface plutôt un lecteur avec ses propres habitudes de lecture. Elles font notamment jouer la « localisation » de la lecture[13].

Ces interfaces fonctionnent, à travers un échec de lecture, voire d’une frustration, sur le principe de la « double lecture » qui caractérise toute œuvre littéraire informatique à lecture privée. Elles sollicitent très fortement la conception du dispositif.

Il semble nécessaire de tenter de dégager une définition de l’interface qui serait compatible avec les deux ensembles d’œuvres. Il est évident, au terme des analyses précédentes, que cette définition ne saurait être purement fonctionnelle mais qu’elle doit comporter une prise en compte des représentations d’acteurs. Le modèle procédural[14] développé dans le but d’articuler l’influence des représentations mentales et du fonctionnement technique dans les situations de communication par une œuvre informatique semble alors adapté à cette entreprise.

3  L’INTERFACE SEMIOTIQUE DANS UNE CONCEPTION SYSTEMIQUE CENTREE SUR LE DISPOSITIF.

3.1  Le modèle de la communication par une œuvre à lecture privée.

3.1.1  Les concepts fondamentaux.

Le modèle développe une approche de la situation de communication par une œuvre littéraire dans un dispositif[15] qui comporte deux ordinateurs : celui où s’est effectué la création et celui sur lequel a lieu la monstration. Le modèle est bien adapté à la communication par une  œuvre off-line. Il ne prend pas en compte tous les aspects des œuvres on-line mais la généralisation au dispositif on-line des points que nous utiliserons ne pose certainement pas de difficulté majeure. Le modèle stipule que le dispositif est « à lecture privée », c’est à dire qu’auteur et lecteur ne sont pas en contact direct.

Le modèle s’appuie sur deux concepts fondamentaux

-          Le premier, dénommée « profondeur de dispositif », est une représentation mentale : la conception que les acteurs se font du dispositif qui les englobe. Celle-ci contient des représentations du dispositif technique, de chaque acteur et de l’œuvre.

-          Le second traduit le rôle fondamental pour la communication du processus de l’exécution. Celui-ci s’impose aux acteurs et contrarie parfois la conception algorithmique (le bug organise la communication comme le fait le bruit pour Atlan). Le concept introduit pour décrire ce rôle est celui de « transformation procédurale ». Le processus d’exécution chez le lecteur est considéré comme  résultat de la transformation du processus d’exécution chez l’auteur. C’est cette transformation qui constitue la « transformation procédurale ». Elle traduit l’intentionnalité d’un acteur technique distribué sur le dispositif technique. Cette intentionnalité peut entrer en conflit avec celle de l’auteur et s’impose comme contexte d’exécution de l’œuvre. Le paramètre pertinent pour décrire cette transformation est le « contexte de lecture » défini comme la différence entre les caractéristiques techniques des machines de l’auteur et du lecteur.

Le modèle s’articule alors en deux sous-modèles qui, chacun, introduit un des deux concepts. L’interdépendance des deux modèles établit la relation entre l’humain et le technique.

3.1.2  Le modèle du texte lié.

-          La prééminence de  la profondeur de dispositif sur tout autre concept relativise le concept de texte. Un objet littéraire, au sens large, ne peut être considéré comme « texte »[16] que dans une profondeur de dispositif particulière. La distinction texte/paratexte est donc relative à une profondeur de dispositif.

-          Le concept de « texte-à-voir » est introduit en vue d’établir une continuité entre les sémiotiques classiques et le modèle du texte lié. Le « texte-à-voir » est défini comme l’ensemble des éléments observables qui seront considérés, dans une profondeur de dispositif donnée, comme le plan de l’expression au sens de Hjelmslev d’un signe textuel par le lecteur.

-          La profondeur de dispositif de chaque acteur contient des Acteurs Modèles qui sont des représentations de la position de chaque acteur. Les stratégies de création ou de réception consistent pour chaque acteur à établir une interaction entre lui et la représentation qu’il se fait de l’autre acteur. L’auteur s’invente un Lecteur Modèle auquel il attribue certaines dispositions, et le lecteur s’invente un Auteur Modèle auquel il attribue un certain dessein[17]. Ces représentations sont en relation récursives au sein de la profondeur de dispositif. C’est ainsi que le Lecteur Modèle de l’auteur physique comporte un Auteur Modèle qui est la façon dont l’auteur imagine être perçu par le lecteur. Nous verrons qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une mise en abîme de la profondeur de dispositif pour analyser les œuvres.

3.1.3  Le modèle procédural.

-          Il repose sur le modèle du texte lié. La fonction essentielle du modèle est la « génération » (cf. figure ci-dessous) définie par l’ensemble des opérations techniques et psychologiques qui transforment les textes-auteur, définis comme les productions réalisées par l’auteur sur sa machine dans un langage qui lui est naturel (algorithmes, phrases, images, sons…), en un texte-à-voir chez le lecteur.

-          Le modèle attribue un « domaine » à chaque acteur. Il ne s’agit pas d’une notion systémique mais de schématisation. Un « domaine d’acteur dans un schéma » est constitué par l’ensemble des informations portées sur un schéma qui sont sous le contrôle direct de l’acteur. Les principales conclusions du modèle procédural sont décrites graphiquement par une simple séparation des domaines d’acteurs. Celle-ci laisse apparaître un domaine particulier défini comme domaine de l’œuvre et qui comporte des objets observables et des transformations. L’œuvre ainsi définie est autonome par rapport aux acteurs mais demeure une composante du dispositif global de communication. On ne peut, dans cette conception, définir d’œuvre de manière absolue, indépendamment d’une situation actuelle de communication. L’œuvre ne saurait constituer un objet potentiel susceptible de s’incarner dans une situation de communication mais qui posséderait une existence indépendante de cette situation, un « être ». La conception procédurale est tout autre : chaque situation de communication constitue une double opération de traduction technique et de conservation muséologique d’une intentionnalité initiale. Ces opérations renvoient à la problématique générale de l’altérité, à la relation entre fidélité et lisibilité. On a constaté que les œuvres des années 80 subissent une dérive diachronique des caractéristiques esthétiques liées à l’évolution technique de sorte que leur exécution produit aujourd’hui des résultats observables très différents de ceux obtenus à leur création. On a même pu estimer à cinq ans leur « durée de vie synchronique », c’est-à-dire la durée pendant laquelle un lecteur a une chance d’observer un résultat à l’exécution similaire à celui observé par l’auteur sur sa machine. L’art électronique dans un dispositif à lecture privée est ainsi un art de l’inscrit qui préserve les caractéristiques des arts vivants. Mais la situation de communication n’est pas équivalente à l’interprétation machinique d’une partition qui serait constituée par le programme car l’acteur technique distribué responsable de la transformation procédurale n’agit dans aucune intelligence de l’œuvre. Le dispositif de communication n’est pas analogue au concert. C’est pourquoi le « domaine de l’œuvre », ou « domaine du texte » dans le cas présent, constitue également un gap infranchissable entre les domaines d’acteurs, un obstacle à la communication : les propriétés des objets de chaque domaine sont inconnaissables dans l’autre. Notamment, le lecteur ne peut remonter par sa seule lecture aux caractéristiques des algorithmes ou à la structuration des données travaillées par l’auteur. Sa lecture est locale, il est même dans l’impossibilité de connaître la proportion du volume d’information totale conçue par l’auteur contenue dans ce qui est porté à sa lecture. Ce qui implique entre autre qu’il se construit par la lecture un espace d’information de l’œuvre qui ne recouvre pas celui construit par l’auteur. Voilà un résultat qui relativise la conception classique largement inspirée de la conception hypertextuelle. L’interactivité, notamment, ne saurait se réduire à un protocole de « navigation » dans un espace d’information préconstruit. Sauf stratégie particulière d’écriture, l’interaction entre la lecture et l’exécution de l’œuvre construit chez le lecteur un espace d’information distinct de celui sur lequel repose le programme. La conception balpienne de la lecture repose sur ce résultat, l’ « esthétique de la frustration » également. Les œuvres qui tentent de diminuer cette barrière d’incommunicabilité sont qualifiées de « mimétiques » dans le modèle procédural. La conception hypertextuelle de Ted Nelson, qui repose sur un espace d’information unique, est une conception mimétique. Force est de reconnaître que le caractère mimétique ne se réalise pas toujours[18].

-          Indépendamment de toute possibilité d’interaction entre l’œuvre et le lecteur, l’auteur est co-auteur avec l’acteur technique distribué qui définit le contexte de lecture du programme génératif des événements observables de l’œuvre par le lecteur. Il lui appartient donc, dans sa stratégie de création, de négocier cette relation de co-auteur. Il doit devenir, autant que producteur d’un projet, le gestionnaire de la brisure de son projet.

-          Le lecteur ne se contente pas d’effectuer une opération ergo-percepto-cognitive de lecture, il met en œuvre des processus physiques qui s’effectuent dans un contexte technique particulier. La façon dont fonctionnent ces processus intervient dans la communication et sont indissociables de la lecture. Le modèle englobe l’activité de lecture et ces processus dans le concept de « lacture ». La lacture constitue un segment temporel durant lequel le contexte de lecture ne varie pas. Il constitue donc un segment  fondamental pour la construction du sens. La relecture peut ne pas produire les même résultats si lecture et relecture sont effectuées au sein d’une même lacture ou sur deux lactures différentes.

-          Les spécificités non classiques de l’œuvre n’apparaissent le plus souvent que lorsque le lecteur relance une exécution : la relacture est une composante du mécanisme de lecture. De même que certains textes classiques sont écrits pour être relus, certaines œuvres informatiques sont conçues pour être réexécutées même si le processus d’exécution est cyclique et permet des relectures. 

Figure 9 : schéma fonctionnel du modèle procédural.

3.2  La notion d’interface interne.

3.2.1  Définition proposée.

L’interface interne pourrait être définie comme l’ensemble des manifestations de la profondeur de dispositif  des co-auteurs (auteur et acteurs techniques) au sein de l’œuvre. C’est donc une composante de l’œuvre qui échappe en partie à l’auteur. Il s’agit bien, dans le cas général, d’un ensemble de traits interfaciques distribués, non toujours observables à la lecture. Ils ne se réduisent pas toujours à un « lieu » ou un « temps » dans l’événement observable. Par ailleurs ces traits ne sont pas explicitement liés à un caractère fonctionnel. La définition échappe ainsi aux paradoxes pointés et permet de tenir compte du double caractère esthétique et politique mis en évidence[19].

3.2.2  Propriétés.

-          Elle est une caractéristique de l’œuvre et non un objet externe.

-          Elle s’arrange fort bien de la présence de co-auteurs techniques du modèle puisque ceux-ci sont automatiquement pris en compte dans la définition.

-          Elle répond aux questions posées sur l’insertion ou non des manifestations du fonctionnement du dispositif : celles-ci sont à intégrer à l’interface. De même les marquages par absence ou retrait. Par exemple la dimension « plein écran » des animations syntaxiques est une caractéristique interfacique (l’auteur s’empare du dispositif). La signification du visuel n’est en effet pas la même si l’œuvre s’exécute plein écran (elle est alors censée accaparer tout l’ordinateur, en prendre le contrôle) ou dans un player (elle est contrôlée par une machine).

-          Elle est lieu de gestion par l’auteur de son Lecteur Modèle (représentation mentale qu’il se fait du lecteur générique). Cet aspect regroupe notamment les caractères fonctionnels liés à la présence physique de commandes lorsque l’œuvre est interactive, mais elle contient également des informations sur les dispositions supposées du Lecteur Modèle. Il est à noter que cette caractéristique ne nécessite pas une interaction entre le processus de l’œuvre et le lecteur. Dans ce point de vue, même une œuvre « non interactive » possède une interface interne.

-          Elle est pour le lecteur lieu de gestion de son Auteur Modèle (représentation mentale qu’il se fait de l’auteur). Certains lecteurs peuvent par exemple considérer que le programme est l’auteur de ce qu’ils lisent. Leur Auteur Modèle sera alors confondu avec la représentation mentale qu’ils se font de ce programme.

-          Elle est le lieu de confrontation entre deux conceptions : celle de l’auteur et celle du lecteur qui peut être définie, du point de vue de l’auteur, comme une confrontation entre le lecteur physique et son lecteur Modèle et, du point de vue du lecteur, comme une confrontation entre l’auteur physique et son Auteur Modèle.

-          L’interface interne possède des caractéristiques inscrites dans les textes-auteur comme dans les événements observables par le lecteur. Il faut donc l’aborder du point de vue du lecteur comme du point de vue de l’auteur et elle n’échappe pas aux propriétés de la fonction génération. Par ailleurs, l’interface est, suivant le lecteur, considérée ou pas comme intégrée au texte-à-voir. Tout dépend de la profondeur de dispositif du lecteur physique. Cette ambivalence est d’ailleurs un des points de tension entre lecteur physique et Lecteur Modèle.

-          Le caractère mimétique ou non d’une œuvre est une composante de l’interface. Les structures et dimensions de l’espace d’information doivent en effet être énoncées par l’auteur si celui-ci veut les porter à la connaissance du lecteur.

-          Notons enfin le déplacement certainement le plus significatif de cette définition par rapport à la définition de l’interface de l’œuvre retenue en introduction : l’interface est définie dans la relation de l’œuvre au concepteur physique et non dans la relation de l’œuvre au lecteur physique. Ce déplacement radical de point de vue permet justement de considérer que l’interface est la solution apportée par l’auteur à la problématique qu’il s’est posée de la position du lecteur dans le dispositif.

3.2.3  La gestion du Lecteur Modèle par l’interface interne.

a)  Conceptions du Lecteur Modèle exprimées par les interfaces.

Les différentes interfaces reposent que nous rencontrées sur des conceptions du texte supposées différentes chez les Lecteurs Modèles conçus par leurs auteurs. Celles des formes de surface supposent un Lecteur Modèle qui considère que le texte se réduit à l’ensemble de phrases généré ou formant le nœud d’information, et que ce texte est équivalent à un texte imprimé[20]. Elles supposent ainsi que le Lecteur Modèle aborde le dispositif avec l’archétype du livre qui n’est pas adapté au mode de fonctionnement réel du dispositif informatique à lecture privée. Le dispositif du livre ne possède en effet aucune des caractéristiques de l’autonomie du domaine de l’œuvre dont nous avons parlé. La lecture, notamment, n’y présente aucun caractère « local ». L’auteur place ainsi son Lecteur Modèle dans une situation paradoxale utilisée dans sa stratégie d’écriture.

Dans le cas de l’hypertexte, l’interface est mimétique. Ce caractère mimétique vise à annuler la distinction entre un espace d’information lecteur créé à la lecture et l’espace d’information auteur. Le but visé est de donner un rôle au lecteur : la navigation dans un texte. L’objectif est, comme toujours en littérature informatique, de redéfinir l’activité de lecture. Dans l’hypertexte classique c’est le rôle du montage qui est redéfini : l’auteur délègue au lecteur l’activité de montage narratif.

Dans le générateur automatique, l’objectif est autre. L’interface n’est pas mimétique et l’incommunicabilité de l’œuvre est, au contraire, au service d’une stratégie qui vise à déstabiliser le Lecteur Modèle supposé, alors, réévaluer son critère de littérarité. Jean-Pierre Balpe exprime très clairement cette position : « Le dispositif fractal[21], même si une lecture ‘’papier’’ des pages [automatiquement générées] peut laisser croire le contraire, ne peut pas être convoqué comme dispositif de littérarisation puisqu’il est impossible d’une part de suivre une quelconque linéarité du texte, et d’autre part, faute d’arrêt, de penser découvrir des indices locaux désignant une téléologie globale. […] La littérarité ne repose plus sur le dispositif fractal mais sur la dynamique du chaos. Ce dispositif est ainsi une négation absolue du dispositif fractal, il repose en effet essentiellement non sur la téléologie et l’utopie de la maîtrise complète mais sur une redéfinition dynamique et permanente de l’ensemble de l’œuvre : une volonté de production ouverte. L’intentio auctoris ne peut plus être invoquée, du moins au niveau de la matérialité du texte puisque l’auteur du programme qui écrit le texte est dans l’incapacité totale de prévoir quel texte terminal peut être généré […] L’intentio lectoris n’a plus à retrouver les indices de celle de l’intentio auctoris, mais se contente, d’une part, d’accepter que le texte lui parle et, d’autre part, de construire par ses actes un sous-ensemble particulier d’un roman général. Elle en acquiert une liberté réelle.  »[22]

Dans le cas des textes animés, la profondeur de dispositif technique vers laquelle le Lecteur Modèle est supposé s’orienter est celle d’un dispositif multimédia programmé[23]. Suivant les cas, l’interface est mimétique ou pas. Dans l’exemple cité elle l’est. Dans la plupart des œuvres de Tibor Papp elle ne l’est pas car rien n’indique au lecteur que ces œuvres utilisent le hasard dans la gestion rythmique. Certaines œuvres de L.A.I.R.E. utilisent également des générateurs combinatoires pour générer une faible proportion des textes-phrases. Cet apport algorithmique n’est jamais marqué dans l’interface qui est alors non mimétique. Le Lecteur Modèle est alors supposé découvrir à la relecture, par hasard, l’écart entre le dispositif vidéo invoqué par l’interface et le dispositif réel. Il est censé en retirer un effet de surprise, un questionnement sur la clôture de la lecture (ai-je réellement ce texte ? l’ai-je lu en totalité ? a-t-il été écrit ?) et penser sa lecture comme une expérience et non une quête d’information.

b)  L’interface, fondement d’un déroulement spiral du Lecteur Modèle.

Ainsi, l’attitude supposée du Lecteur Modèle implémentée par ces interfaces est complexe, non caricaturale. Il s’agit d’une attitude active en ce que ce Lecteur Modèle est capable de réorganiser sa conception en cours de lecture. Le mécanisme de cette réorganisation met en scène, dans l’esprit de ce Lecteur Modèle, l’Auteur Modèle qui transparaît dans l’interface.

Une autre façon de décrire les stratégies d’écriture que nous venons de décrire consiste à dire que l’interface présente au Lecteur Modèle de l’auteur une conception du dispositif technique, portion de la profondeur de dispositif d’un Auteur Modèle perçu par le Lecteur Modèle. Cet Auteur Modèle est la figure sous laquelle l’auteur physique veut apparaître dans l’interface. La conception technique énoncée par l’interface est celle d’un dispositif classique : livre ou vidéo que le Lecteur Modèle impute à son Auteur Modèle. Elle se manifeste dans la répartition spatio-temporelle des traits esthétiques et dans les choix opérationnels proposés. Dans les cas non mimétiques, la lecture fait apparaître un écart entre cette conception fonctionnelle et la réalité du fonctionnement. Le Lecteur Modèle réévalue alors la conception technique exprimée comme un leurre et adopte une conception originale de sa propre position. Bien sur, s’agissant d’un Lecteur Modèle, cette conception n’est rien d’autre que la conception de la position du lecteur pour l’auteur physique. Cette formulation n’est rien d’autre qu’une transposition dans le cadre de notre modèle des relations entre Lecteur Modèle et Auteur modèle chez Umberto Eco. Elle montre que la profondeur de dispositif n’est pas une mise en abîme mais possède deux niveaux réflexifs que l’auteur développe dans son Lecteur modèle. Ces conceptions placent dans un premier temps le Lecteur Modèle comme destinataire d’un contenu qui serait transposable dans un autre dispositif pour mieux mettre en évidence le fonctionnement réel du dispositif. Ce Lecteur modèle devient alors destinataire de l’observation de ses propres modalités de lecture et non plus du contenu que la lecture produit. C’est cette position particulière qui est nommée dans le modèle la « double lecture ». On peut la considérer comme le rabattement sur un même acteur des deux positions du spectateur (spect-acteur aux commandes du dispositif et spectateur observant le dispositif spect-acté) dans une installation d’art électronique.

Figure 10 : déroulement spiral du Lecteur Modèle

Ce schéma s’applique dans l’ensemble des exemples considérés. Dans les exemples « classiques », la conception classique du dispositif mise en cause est celle du livre. Dans les œuvres « dissidentes », la conception « classique » est celle du dispositif non procédural mis en place par les précédentes. Il s’agit de la conception algorithmique productive du générateur balpien dans le cas de Petchanatz, de la conception de la navigation nelsonnienne dans ceux de Dutey et Rosenberg. La conception du dispositif multimédia a également été remis en cause dans des interfaces de l’esthétique de la frustration qui seront présentées ci-dessous. Or on constate que les conceptions « classiques » sont issues de réflexions qui s’appuient sur des expériences des années 60-70 (hypertexte, texte combinatoire, art vidéo) même si elles énoncent une position originale et littéraire dans le dispositif informatique. Les œuvres « dissidentes » correspondent à des réflexions nouvelles et considèrent acquises les positions précédentes. On peut logiquement considérer le déroulement spiral du Lecteur Modèle comme une stratégie de déplacement de l’horizon d’attente[24] : le Lecteur Modèle et la profondeur de dispositif dénommés « classiques » dans le schéma constituent l’horizon d’attente initial du lecteur, le Lecteur Modèle final et la profondeur de dispositif technique réelle de l’auteur constituent l’horizon d’attente final visé par l’auteur. L’interface est l’outil d’une stratégie de déplacement de l’horizon d’attente. Notons toutefois que ce mécanisme, omniprésent dans les œuvres des années 80-90, tend à disparaître dans les multiples productions rencontrées sur le Web car leurs auteurs n’ont pas une démarche de littérature du dispositif , c’est-à-dire une démarche qui considère que la littérarité est portée par le dispositif, mais une démarche plus classique de littérature du contenu. Les profondeurs de dispositif exprimées sont alors des profondeurs « classiques » de dispositifs différents du livre mais non informatiques. Le plus courant est celui de la vidéo. Les auteurs fabriquent alors des vidéos numériques ou confectionnent des animations Flash[25] comme s’il s’agissait de vidéos[26]. L’interface ne vise pas alors à déstabiliser une conception de dispositif mais au contraire à amplifier l’archétype culturel du dispositif classique invoqué. Dans le cas du dispositif vidéo, l’interface est souvent déléguée par l’auteur à un player géré par le concepteur du logiciel et qui « mime » les fonctionnalités d’un lecteur vidéo. Mais les effets rythmiques et le comportement parfois surprenant de ces « vidéos » lorsque les ressources du dispositif sont insuffisantes est là pour nous rappeler la différence entre les deux dispositifs techniques.

c)  Conceptions de l’Auteur Modèle exprimées par ces interfaces.

Les interfaces prises comme exemples expriment également des conceptions différentes des auteurs physiques. Elles sont porteuses d’Auteurs Modèles différents : dans les exemples « classiques », la position de l’Auteur Modèle se situe au niveau de la structure profonde, la « méta-écriture », niveau inaccessible au lecteur. Il existe d’ailleurs des graphes de structure pour toutes les formes de surface. La profondeur de dispositif nie le rôle des co-auteurs techniques. Chez les seconds, la profondeur de dispositif ne considère plus l’œuvre comme le résultat de la lecture logique d’un algorithme mais comme un processus. L’Auteur Modèle redevient un « fabriquant », son action intervient dans le monde physique même s’il n’est plus toujours un scripteur.

3.3  Le générateur adaptatif.

La stratégie précédente de déroulement spiral explique les caractéristiques fonctionnelles et esthétiques de l’interface observables du point de vue du lecteur, c’est à dire du côté du produit généré. Certaines caractéristiques de l’interface concernent pourtant au premier chef l’autre point de vue, celui de l’auteur, dans sa tentative notamment de gérer depuis l’intérieur de son programme les brisures de son projet, c’est-à-dire l’incapacité pour la machine du lecteur à générer la solution qu’il a imaginée. Cette gestion peut être totalement transparente au lecteur lors de la lecture. En revanche, elle peut impliquer, par exemple à l’installation, des phénomènes observables qu’il est tout à fait légitime d’inclure dans l’interface interne même s’ils sont déportés dans le temps par rapport à la lecture. Nous utilisons pleinement le caractère temporel de l’interface et sa déconnexion par rapport à la lacture.

Le modèle procédural indique que l’auteur est tenu de gérer sa position de co-auteur. Cette gestion implique une incompatibilité entre différentes caractéristiques traditionnelles de l’œuvre. C’est ainsi que dans les poésies animées programmées la lisibilité et la fidélité rythmique au texte-à-voir réalisé sur la création se sont avérées incompatibles. Le générateur adaptatif a été inventé en 1994 pour gérer cette incompatibilité : il adapte le programme de l’œuvre à la machine hôte pour assurer, dans tous les cas, une lisibilité de l’œuvre. Dans ce cas, le processus d’adaptation est bien une composante de l’interface, même si elle est totalement, parfois, déconnectée de la lecture. L’adaptativité du programme énonce en effet un changement de profondeur de dispositif des auteurs : ils ont pris conscience des particularités du dispositif à lecture privée, de leur position de co-auteur du texte-à-voir et de la différence avec un dispositif vidéo, même si les aptitudes qu’ils demandent à leur Lecteur Modèle restent inchangées (c’est pourquoi l’adaptation est transparente au lecteur).

Le générateur adaptatif crée une distanciation particulière avec l’œuvre du fait de la variabilité du texte-à-voir : nul ne peut affirmer avoir lu le texte. Un exemple récent en est donné dans Variations sur passage [27]. Dans cette œuvre, l’adaptativité du visuel interdit de concevoir une synchronisation à chaque instant entre le visuel et le sonore. La solution trouvée réalise une combinatoire non algorithmique des « points de focalisation de l’intérêt ».

4  L’ŒUVRE COMME INTERFACE.

4.1  L’impact de la double lecture.

4.1.1  L’interface interne crée une distanciation entre l’œuvre et le lecteur.

La définition proposée pour l’interface interne conduit à analyser plus en détail le mécanisme de confrontation qui s’y joue avec le lecteur physique. Il est plus aisé de le faire du point de vue du lecteur. Notons que l’interface, du fait de cette confrontation qui accapare le lecteur au détriment des activités cognitives de lecture, crée une distanciation entre l’œuvre et le lecteur. L’œuvre apparaît alors comme une interface, une médiation, entre le lecteur physique et le Lecteur Modèle prévu par l’interface interne.

4.1.2 L’interface interne comme lieu de confrontation.

On constate à l’observation que l’interface est bien un lieu de confrontation entre le lecteur physique et le Lecteur Modèle de l’auteur. Le lecteur physique ne se moule pas toujours dans les pas de ce Lecteur Modèle et pousse parfois l’œuvre dans une direction contraire, en général de façon non consciente. 

Si Petchanatz élabore son générateur de Pavlov, c’est parce qu’il a lu la présence du processus génératif et non les textes générés dans les générateurs balpiens alors que le Lecteur Modèle balpien nie cette intentionnalité de lecture : sa lecture porte sur un produit écrit, non sur un mécanisme. D’autres observations de lectures de générateurs mettent en évidence trois modes de lecture qui s’excluent l’un l’autre, ces trois modes étant la lecture « libre » des textes générés (celle prévue par Balpe), la lecture des propriétés de l’algorithme génératif par comparaison des textes générés (le texte généré n’est pas considéré comme doté de littérarité, l’algorithme seul le serait), la lecture de la positions des acteurs face au processus physique de génération : le générateur est alors perçu comme un être propre au dispositif informatique et qui ne peut exister qu’en fonctionnement, caractéristique fondamentale dans le modèle procédural de toute œuvre informatique dans un dispositif à lecture privée. Cette troisième lecture, considère que la littérarité est d’ordre dynamique et complexe, qu’elle n’est située ni dans l’algorithme ni dans le produit textuel généré (le texte-à-voir) mais bien dans la situation de communication instaurée. Le modèle procédural montre formellement que ce sont les trois seules attitudes de lecture possibles de ces générateurs.

Un exemple particulier est donné par l’œuvre tue-moi[28](figure ci-dessous) de Sérandour. Le visuel de cette œuvre se limite à une interface. Il se présente comme une page Web munie d’un ensemble de boutons. Lorsque le lecteur clique sur l’un d’entre eux, il est invité à envoyer un message à l’auteur. Toutes les observations de lectures ont montré que ce lecteur est alors tiraillé entre peur et curiosité et met en place une stratégie d’évitement. Il craint que ce message ne l’engage bien au-delà de sa lecture, qu’il dévoile son adresse, voire son identité, à l’auteur physique. Les lecteurs ont alors tous commencé par abandonner l’œuvre, la quitter. Puis, la curiosité l’emportant en général dans un second temps, la plupart d’entre eux ont réexécuté l’œuvre et envoyé le message. L’œuvre s’arrêtait apparemment là. Ils se sont alors rendu compte au bout d’un moment s’ils étaient restés connectés ou lors d’une prochaine session, que l’adresse à laquelle le message était envoyé était inexistante. Ils ont alors compris que cette œuvre ne visait pas à établir une communication directe mais à les confronter à leurs propres réactions. Cette œuvre, parmi les plus réflexives qui soient, ne destine pas le contenu du texte-à-voir au lecteur mais l’ensemble des processus qu’il met en œuvre par métacommunication[29] chez le lecteur. Certains lecteurs ont commenté leur rapport aux indices de véracité marqués dans l’interface. Pourtant, d’autres lecteurs ont considéré que l’œuvre présentait un bug courant sur le Web : l’abandon d’une adresse. D’autres enfin n’ont jamais osé dépasser leur appréhension.

Figure 11 : interface de tue-moi.

La confrontation a également maintes fois été observée dans les années 85-90 lors de présentations de textes animées. On aurait pu penser que le dispositif vidéo s’imposerait facilement comme substitut classique au dispositif multimédia et que le dépassement de l’horizon d’attente aurait été faible. Il n’en a rien été. Au lieu d’aborder ces œuvres comme des œuvres de l’écran, la plupart des lecteurs l’ont abordé avec les habitudes de lecture du livre. Or celles-ci nécessitent une stabilité de l’écrit dans les allers-retours perceptifs qu’elles impliquent. Les lecteurs se sont donc trouvés désappointés devant ces œuvres et dans l’incapacité physique de les lire. Cette frustration était d’autant plus vive qu’ils étaient de « bons » lecteurs. Un conservateur de bibliothèque s’est même écrié « j’ai tout vu et je n’ai rien lu »[30]. Cette remarque démontre bien que le « dispositif technique classique » mis en cause par ces œuvres est bien celui du livre.

Un autre exemple de confrontation est celui de la réaction d’un auteur d’un CDROM vidéo interactif qui avait conçu son Lecteur Modèle comme navigateur dans une fiction hypertextuelle qui contenait des scènes vidéo à fort caractère chorégraphique. Or ma lecture physique a consisté à occuper la position du lecteur balpien, libre relativement à la structure  profonde. L’œuvre offrant la possibilité de réaliser une chorégraphie à l’écran en jouant sur les marche-avant / marche arrière et déclenchement des vidéos situées à différents endroits sur l’écran, ma position était celle de ce lecteur libre dans un dispositif réalisant des processus contrôlés. J’ai alors joué le rôle d’un metteur en scène en utilisant la structure hypertextuelle comme contrainte chorégraphique, détruisant ainsi toute narration. L’auteur, croyant que je testais l’interface alors que j’étais pleinement en train de lire, est venu m’expliquer le fonctionnement de la souris dans l’œuvre.

4.2  L’interactivité comme modalité de fonctionnement de l’interface interne.

L’interface reflète les différentes composantes de la profondeur de dispositif. Celle-ci comprend une représentation du dispositif technique, une représentation de la position de chaque acteur et une représentation de l’espace d’information porté par l’œuvre. L’interactivité peut alors être définie comme les modalités de gestion dans l’interface de l’acte de lecture. Cet acte de lecture est virtuel, défini comme celui du Lecteur modèle lorsqu’on décrit l’interactivité du point de vue de l’auteur, il est actuel lorsqu’on la décrit du point de vue du lecteur physique. Dans cette conception, il ne s’agit donc pas seulement d’une fonction mécanique de relation homme/machine, ni d’une propriété intrinsèque d’un élément du dispositif, mais d’un ensemble de processus qui mettent en œuvre l’ensemble des composantes matérielles et psychologiques du dispositif. Comme toute caractéristique dans le modèle procédural, l’autonomie du domaine de l’œuvre oblige à l’aborder distinctement dans chacun des domaines.

Muni de cette définition, on peut distinguer quatre caractéristiques fondamentales de l’interactivité. Celles-ci existent toujours conjointement, pas nécessairement avec le même poids, et se manifestent de façon différente pour l’auteur et le lecteur. L’interactivité est

-          navigation dans un espace d’information, celui construit comme représentation mentale de l’espace d’information de l’œuvre chez le lecteur et l’auteur (ces deux espaces peuvent différer)

-          commande : elle est commande d’un processus observable pour le lecteur, branchement algorithmique chez l’auteur à travers une structure si…alors et une interruption.

-          introduction de données. Ces données peuvent être ou non utilisées par le programme en plus des deux caractéristiques précédentes. Ces données construisent un profil de lecture que l’auteur peut utiliser.

-          représentation : l’interactivité crée une représentation de l’acte de lecture au sein même du texte-à-voir, notamment par la présence et les modifications du curseur de la souris. Cette représentation peut être utilisée comme composante symbolique au sein de l’œuvre.

4.3  L’esthétique de la frustration.

Dans la stratégie de double lecture, on peut considérer que l’acte de lecture est une composante de la représentation portée par l’œuvre, représentation qui prend pour objet cet acte lui-même : la lecture présente un fort caractère réflexif.

Certaines œuvres vont au-delà de la double lecture et considèrent que le lecteur n’est plus destinataire de l’œuvre, qu’il n’est pas destinataire de la signification au sein du projet de l’auteur de son acte de lecture, mais que sa lecture est une composante intrinsèque de l’œuvre, à destination d’un Lecteur Virtuel à jamais absent qui observerait cette lecture. Dans ces conditions, l’interface est hautement distribuée sur l’ensemble des événements observables. Elle a pour fonction de faire fonctionner l’acte de lecture, en vue de produire une réaction du lecteur plus qu’une représentation mentale chez lui. La double lecture permet alors au lecteur de prendre conscience de sa position d’effecteur dans l’œuvre mais pas toujours de déterminer la fonction symbolique exacte de cette position. Une telle démarche est le contraire d’une œuvre mimétique. Elle utilise pleinement la séparation des domaines, à travers notamment le « montage horizontal », construction du visuel par un mixage et un masquage d’objets autonomes doués de comportements propres et porteurs du sens de l’œuvre pour l’auteur. 

Dans l’esthétique de la frustration l’œuvre peut être considérée comme une interface qui vise la confrontation entre un lecteur qui essaye de s’informer sur l’œuvre à travers sa lecture (tout lecteur physique fait cela) et un Lecteur Modèle doué de l’aptitude à commander et gérer des processus par son action, qui est destinataire des seuls événements ainsi construits mais pas de la signification globale qui prendrait en compte sa position interne à l’œuvre. L’esthétique de la frustration suppose le même lecteur modèle que celui de Balpe mais le situe dans un dispositif différent qui serait « regardé » par le Lecteur Virtuel tout comme les dieux regardent les héros grecs, en connaissance de leur destinée. L’œuvre y est conçue comme une médiation de l’acte de lecture du Lecteur modèle à destination du Lecteur Virtuel. Le Lecteur Virtuel est une composante de la conception de dispositif différente du Lecteur Modèle et sans relation avec le lecteur physique. Il s’agit d’une composante relative au contexte socioculturel de l’œuvre. 

Ici aussi, les actions réalisées par le lecteur correspondent parfois à des énoncés techniquement permis par la grammaire d’actions mise en place par l’interactivité, mais non prévus par l’auteur et qui peuvent détourner la représentation prévue : la confrontation a bien lieu dans les deux sens.

Notons que le terme de « frustration » s’applique au Lecteur Modèle, non au lecteur physique. Que ce dernier soit ou non frustré dépend de la performance de son activité de lecture. L’œuvre ne vise jamais à « frustrer » un lecteur physique puisqu’elle donne toujours une position à ce lecteur sous la forme du Lecteur Modèle. Si le lecteur physique se glisse dans la peau du Lecteur Modèle de l’œuvre alors il lira l’œuvre selon le projet de l’auteur et n’en retirera aucune frustration réelle. Le terme de frustration énonce simplement l’échec de lecture du Lecteur Modèle « classique », c’est-à-dire celui situé à l’horizon d’attente que l’œuvre vise à dépasser.

5  CONCLUSION.

L’interface interne permet de dégager les relations entre l’œuvre et le dispositif. Elle permet de prendre en compte les représentations mentales d’acteurs dans la conception ou la manipulation des interfaces logicielles. Le modèle procédural s’est avéré adapté à cette approche. En revanche, il ne dispense pas d’une analyse de surface mais l’oriente sur des options de stratégie : à moi lecteur, que me dit l’interface de la conception que se fait l’auteur du fonctionnement du dispositif ? Que me dit-il de sa conception du lecteur ? Quelle relation à l’information m’offre-t-il ?

 

BIBLIOGRAPHIE

 

BALPE Jean Pierre, « Un Roman inachevé – Dispositifs », Littérature n° 96, 1994, pp. 37-53.

 

BOOTZ Philippe, « textes à contrainte », revue Formules n° 4, 2000, pp. 69-81.

 

BOOTZ Philippe, « Un modèle fonctionnel des textes procéduraux », Les Cahiers du CIRCAV n° 8, 1996, pp. 191-216.

 

BOOTZ Philippe, « Profondeur de dispositif et interface visuelle », Les Cahiers du CIRCAV n° 12, 2000, pp. 81-101

 

BOOTZ Philippe, “der/die Leser / Reader/Readers”, in F.W. Block, C. Heibach, K. Wenz (eds.), p0es1s.Ästhetik digitaler Poesie / The Aesthetics of Digital Poetry, Ostfildern-Ruit: Hatje Cantz Verlag, 2004, pp. 936-122.

 

ECO Umberto, Lector in fabula, Bompiani, Milan, 1979 ; trad. fr. 1985, Lector in fabula. Le rôle du lecteur, Grasset, Paris (Le livre de poche biblio/essais).

 

 

 

 

 

<REVISTA TEXTO DIGITAL>

 

 

 



[1] Située spatialement en périphérie du texte.

[2] Nous désignerons sous ce terme la propriété d’exécuter une action.

[3] L’exemple le plus significatif de ce comportement est passage, Ph. Bootz, 1993-1996, alire 10, 1997. On peut également mentionner animation, J.M. Dutey et Jeane Sautière, alire 10, 1997.

[4] On pourra se reporter à l’annexe A-III de ma thèse de doctorat formalisation d’un modèle fonctionnel de communication à l’aide des technologies numériques appliqué à la création poétique, ou à mon article « textes à contrainte », revue Formules n° 4, 2000, pp. 69-81.

[5] Nous n’utilisons cette proposition “littérarité du processus” que comme transition énonçant l’importance du processus. La notion de la littérarité d’un processus, que semble pourtant mettre en place toute la dynamique diachronique de la littérature électronique, est une question complexe que nous n’avons pas abordé et qui sort très largement du cadre de cet exposé.

[6] La citation complète sera donnée un peu plus loin, lorsque nous aborderons la double lecture. Nous mentionnons pour l’heure uniquement la position énoncée du lecteur, non la modalité d’énonciation contenue dans la citation.

[7] Éric Sérandour, communication sur la liste de diffusion écriordi du 22/06/2000.

[8] L.A.I.R.E. (Lecture Art Innovation Recherche Ecriture) regroupe les cinq auteurs qui ont créé alire en 1989 : Cl. Maillard, T. Papp, J.M. Dutey, F. Develay et moi-même.

[9] L’œuvre est écrite sous DOS, système qui ne propose aucun mode opératoire par défaut pour quitter une application.

[10] La double lecture est « la lecture par le lecteur de son activité de lecture ». Elle consiste pour le lecteur à construire un sens à partir de la prise en compte d’un acte de métacommunication réflexif : sa propre activité. Ce sens construit la représentation mentale que le lecteur se fait de sa position dans le dispositif, son « Lecteur Modèle ».

[11] Cette terminologie ne saurait toutefois être généralisée, même si elle semble adaptée à la majorité des cas. En effet, l’interface du générateur de Cut-Up délègue au lecteur l’arrêt de l’énonciation et pas du tout le pouvoir d’énonciation de l’auteur.

[12] L’identification des deux rôles est à l’origine du choix que nous avons fait d’utiliser le terme lecteur plutôt que celui de lect-acteur. Nous sommes tout à fait d’accord sur la position fonctionnelle de l’acteur lecteur décrite par ce terme, mais nous pensons que l’emploi de ce terme est plus approprié dans un contexte de comparaison entre des dispositifs différents. L’utilisation du terme lecteur insiste, selon nous, sur la fonction de construction d’une représentation mentale par la lecture qui nous semble le point important de cette fonction, la lect-acture étant la modalité de construction de cette représentation.

[13] Le lecteur n’a accès qu’à des caractéristiques spatio-temporelles locales de l’œuvre.

[14] Le développement du modèle a fait l’objet de la thèse déjà mentionnée, mais on trouvera une présentation du noyau du modèle procédural dans une version très proche de la version définitive, suffisante pour les caractères qui seront utilisés ici, dans l’article « Un modèle fonctionnel des textes procéduraux », Ph ; Bootz, Les Cahiers du CIRCAV n° 8, 1996, pp. 191-216.

[15] Le dispositif est ici défini comme l’ensemble des composantes de la situation de communication par l’œuvre. Il comprend le dispositif technique, l’auteur et le lecteur.

[16] Le concept relativisé est celui, sémiotique, de “texte littéraire”, non l’ensemble linguistique de phrases qui le composent. Le modèle introduit d’ailleurs explicitement la terminologie de texte-phrases pour désigner le signe linguistique et le différentier du « texte » littéraire.

[17] Le modèle emprunte la terminologie de lecteur Modèle et d’Auteur Modèle à Umberto Eco. Notons toutefois qu’il déplace ces notions au niveau de la représentation mentale et non du texte. Le texte n’étant plus qu’une entité relative, il serait maladroit de s’appuyer sur lui pour définir des concepts opératoires.

[18] La thèse fournit une quinzaine d’exemples d’échecs du comportement mimétique. Cet échec est très facile à constater lors de présentations publiques. Dès que l’auteur d’une présentation s’exclame « normalement on aurait dû observer… » il exprime que le produit observable de l’exécution actuelle ne reproduit pas de façon  « mimétique » le résultat qu’il a observé sur sa machine à la création. Je n’ai pour ma part jamais assisté à une présentation quelconque sans qu’une telle correction ne soit apportée à un moment ou à un autre. C’est là l’indice que la transformation procédurale ne peut pas ne pas advenir.

[19] Le modèle traite la notion d’auteur comme une fonction d’acteur. Peut-importe que celle-ci soit réalisée par un acteur unique ou un ensemble d’acteurs. La fonction qui s’exprime est objectivée dans l’œuvre. Elle présente donc un caractère non ambigu, même si elle résulte d’une négociation ou d’un rapport de force entre l’auteur et des acteurs techniques comme le concepteur du logiciel de programmation.

[20] Certaines oeuvres offrent d’ailleurs la possibilité d’imprimer ces textes-phrases.

[21] J.P. Balpe nomme ainsi le modèle littéraire narratif classique dans lequel, selon lui, « chaque fragment est un indice de l’intention totale du texte » (Balpe J.P., « Un Roman inachevé – Dispositifs », Littérature n° 96, Larousse, 1994, p. 45.).

[22] Ibid., p. 52.

[23] Bien que ce dispositif produise de l’image, il diffère d’un dispositif vidéo par plusieurs aspects, notamment par la gestion des initialisations et du hasard. C’est pourquoi un auteur comme Tibor Papp a toujours refusé d’enregistrer ses œuvres sur bande vidéo.

[24] Au sens de Jauss.

[25] Logiciel de création graphique très utilisé sur le Web.

[26] Ce qui leur cause parfois quelques déboires car ils ne se donnent pas les moyens de gérer le dispositif.

[27] In le CDROM incomplete works/œuvre incomplète, Ph. Bootz, MOTS-VOIR, 2001.

[28] In alire 11, 2000. Le CDROM est connecté.

[29] La métacommunication est ici envisagée sous une forme étendue par rapport à la conception de l’école de Palo Alto puisque l’auteur n’est pas physiquement présent. Il s’agit néanmoins d’une signification portée par le décodage, appuyé sur une habitude culturelle, d’indices contextuels de l’œuvre portés par l’interface Web.

[30] Ce type de réflexion ne se rencontre plus aujourd’hui.